La boîte ensorcelée---------audio------
Dans un coffret de bois, sur une mélodie ancienne, chaque fois que s'ouvre le couvercle, le présent prend la poussière, et une fenêtre s'ouvre sur le passé.
Léger, l'automate de porcelaine chante et tourne... De gracieux à saccadé, l'instant précieux de son mouvement est ciselé dans ce coffret.
Il y a quelque chose de triste sous la pointe de son pied, un clou qui le fixe où il devrait s'envoler. Quand elle tourne sur son axe, sous les yeux des enfants qui la regardent, la princesse de porcelaine danse son histoire ensorcelée.
Une sorcière sans cœur, jalouse de l'amour qu'un jeune berger lui refusait a voulu les punir d'éternité lui, et sa princesse de porcelaine. De dépit la Malfaise a scellé leur destin de la pointe d'un crochet, à la pointe d'un petit pied.…
Dans l'anneau en cœur de la clef, un berger d'argent est incrusté, posé sur l'embase, il palpite d'un chagrin qu'il ne peut étancher. Sauf lorsqu'il tourne dans le pêne, la peine de son cœur de berger. Il tente alors de toucher, le pied tendre de la princesse de porcelaine.
Enfermés dans les objets, lui, dans la clef, elle, dans la poupée, l'âme du berger et de la princesse ont vu le temps filer. Et même la mort de la sorcière n'a pu briser le sortilège.
La clef, le coffret, en équilibre de se perdre, vivent des angoisses de solitude qui ne s'apaisent que lorsque le passe tourne dans le pêne et que la princesse vient à danser. Elle dit alors, dans la ronde d'un chant qui les porte depuis quelques siècles, elle dit combien elle l'aime, et que les regrets n'ont jamais terni cette hymen.
Ils ont vu tout deux vieillir les décors, mourir leur famille, durant les guerres infâmes. Ils ont vu le monde qu'ils connaissaient disparaître et un autre naître où ils auraient pu s'aimer.
Le temps menace désormais la boîte et sa clef. Les couleurs se fanent, la musique grince un peu, le métal du crochet se ternit… Combien de tour de cylindre reste-t-il à leur amour pour s'exprimer ?
Dans un grenier de poussière et de toiles, une boîte de carton abrite une boîte ouvragée, une boîte à musique et son automate. Depuis quarante ans, le berger et la princesse, n'ont pas pu se parler. Ils entendent, tout près, les battements de leur âme sœur. S'ennuient l'un de l'autre, et attendent avec ferveur le prochain tour de clef: ces quelque trois minutes et deux dixièmes qui les laisseront se retrouver. Mais dans les greniers, ni les souris, ni les araignées ne sont mélomanes….
Et puis, un jour, la porte du grenier s'ouvre et un rayon de soleil sculpte le vide. Une petite fille, décide, pour s'occuper, d'explorer la maison de mémé Bagoue qui dort en bas. Tous les greniers sont les îles aux trésors des enfants qui s'ennuient.
Le berger et la princesse tirent vers eux la traîne de pensées de l'aventurière curieuse. La fillette s'avance, comme hypnotisée, vers la boîte en carton qu'elle ouvre aussitôt… Des chiffons, du journal et là, tout au fond un coffret très beau, de bois et de nacre. Dans les mains fébriles de l'enfant, l'ouvrage et tourné dans tous les sens, elle remarque alors un petit fermoir, qu'elle s'empresse d'actionner. Elle soulève le couvercle, et sur un ressort ancien, une toute petite princesse de porcelaine se dresse sur la pointe de son pied et tend vers elle ses bras implorants…
Les yeux écarquillés l'enfant remarque chaque détail, de la robe, de la coiffure, des ferrets et ses traits si fins, de la poupée. Des traits si tristes, à peine éclairés d'un sourire sans joie, si tristes que la petite fille sent son cœur se serrer. Elle est si jolie cette figurine, il est si joli ce coffret…
L'enfant se dresse sur ses pieds, referme le boitier et le glisse sous son bras. Elle court retrouver mémé Bagoue qu'elle tirera de son sommeil sans aucun ménagement….
« -Ho ! Tu as trouvé ma boite à musique ?
-C'est à toi ? Elle est où la musique ? »
Mémé Bagoue murmure : « Dans le cœur du berger... ». Et ses mains se rappellent l'emplacement d'un secret. Sous les yeux de sa petite fille, elle pousse un mécanisme et un tiroir s’entrouvre sans bruit. Sur la soie rouge, de la cache, ciselée avec le même soin que la poupée de la boîte, une petite clef d'argent représente un berger. Il est ceint dans l'anneau en forme de cœur.
Mémé Bagoue, ouvre le coffret à musique et montre à l'enfant, tout près du pied de l'automate, une serrure où elle glisse la clef… Elle en remonte le mécanisme…
La musique de la boîte grince un peu, et, sur son pied cloué, la princesse de porcelaine s'empresse de tourner, le cœur de joie et de chagrin mêlés. Le berger la contemple et se nourrit d'amour.
Mémé Bagoue se souvient et raconte la sorcière et le sortilège qui les a piégés. Sa petite fille s'indigne de la cruauté et veut savoir comment on peut les libérer.
La princesse et son berger tendent l'oreille, cela fait si longtemps qu'ils sont prisonniers et jamais ils n'ont pensé qu'on pourrait les délivrer…
« On ne peut pas les libérer, car il faudrait les briser…
-Il faut casser la mécanique, ou la laisser se casser ?
-La laisser se casser n'y changerait rien ; dans la poussière des objets, le cœur de la princesse et celui du berger seraient émiettés, non, il faut pour les libérer, briser la clef et briser la poupée… ce serait bien dommage ; ce coffret est si beau…
-C'est ça le piège de la sorcière, mémé ! Elle a fait si beau ce coffret comme ça personne ne songe à l'abimer. Comme toi : tu préfères les regarder se manquer l'un à l'autre que de te séparer d'un bel objet… Tu devrais avoir honte mémé Bagoue !
-Ce n'est qu'une légende, petite fille, une légende accrochée à une chose précieuse. Les princesses de porcelaine et les bergers d'argent sculpté et scellés dans les clefs, ça n'existe que dans les histoires…
-Alors dis-moi pourquoi la princesse a le visage si triste et dis-moi pourquoi une larme glisse sur la joue du berger ?
-Le berger n'a pas de larme…
-Ta vue baisse mémé Bagoue. »
L'enfant court jusqu'au bureau de sa grand-mère, attrape sa loupe de lecture et la lui tend pour qu'elle y regarde de plus prés… Et c'est vrai, c'est vrai, le berger pleure.
Mémé Bagoue connaît bien sa boîte à musique et elle le sait, le berger n'a jamais versé de larmes d'eau ou d'argent...
Mais même à présent, elle ne peut pas s'y résoudre, elle tend la boîte à l'enfant et lui dit : « Tu as peut-être raison, mais moi aussi je suis ensorcelée, et je ne peux pas la briser... »
Pour les enfants les objets sont moins précieux que les rêves, alors la fillette n'hésite pas une seconde, elle arrache la poupée de son clou et la casse en deux, quitte à se couper. Pour la clef d'argent c'est une autre affaire et elle devra la frapper d'un marteau contre une pierre pour qu'enfin les soudures cèdent et que le berger soit disloqué…
Mémé Bagoue verse quelques larmes de regret et de tendresse. Elles sont l'écho d'un chagrin oublié, celui d'une sorcière au cœur séché. Les gestes si violents de l'enfant, contre la poupée porcelaine et le personnage de la clef d'argent, sont autant d'actes d'amour, énergiques et déterminés.
Et les deux amants, de porcelaines et d'argent sont brisés
Difficile de voir, sur la joue du berger si la larme demeure, en revanche le sourire de la princesse de porcelaine est éclatant.
Dans la pensée de ceux qui rêvent si fort qu'ils peuvent les voir, deux êtres s’enlacent pour la première fois, fusionnent et se trouvent enfin. Avant de rejoindre le bouillon des âmes à renaître, ils déposent sur le cœur d'une vieille femme et sur celui d'une enfant, le parfum de leur reconnaissance et de leur joie.
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