Petit sortilege sans pretention

Petit sortilege sans pretention

L'aventure de Coki ( dés 5 ans )


 

 

Elle pose ses feuilles contre la terre  et elle tire, tire, son pied du sol.

« Non mais ! Le coquelicot s’indigne, qui a dit que les fleurs ne doivent pas bouger ? »

 

Tous ses voisins l’ont vu faire, horrifiés :

« Mon Dieu, ce n’est pas possible ! Une fleur qui se déracine ! Mais elle a perdu l’esprit. »

 

Ça fait des heures que Coki le coquelicot attend qu’il se passe quelque chose…

Il a éclos en ce petit matin de mai. Ravi d’ouvrir ses sépales qui tenaient à l’étroit ses pétales contre son cœur pistil. Ses anthères déjà fendues, couvertes de pollen, attendent quelque chose, que Coki ne saurait expliquer… et encore, il ne se passe rien de rien.

Quand ses sépales se sont ouverts, comme cela lui a fait du bien ! Se sentir libre et léger, ses quatre pétales caressés par le vent…

Et tout ce qu’il y avait à voir d’horizon bleu et vert !

Un temps, il fut brièvement très heureux au sein de sa famille qui rougissait de plaisir en sa compagnie…

 

Mais Coki n’est pas une fleur comme les autres !

Autour de lui, c’est bien beau, la famille c’est bien beau.

Mais qu’y a-t-il au-dessus de la colline qui limite son regard ? Et quoi d’autre encore de l’autre côté d’icelle …

Mille fois il a posé la question, mais la même réponse lui est donnée :

« Il n’y a rien derrière la colline… Rien du tout et sûrement pas de coquelicots ! 

-Mais que faisons-nous là ? Pourquoi faire ?

-Et bien nous profitons du soleil ou de la pluie en espérant qu’il n’y ait pas de grêle... »

 

Coki marmonnait dans son coeur « Profiter du soleil de la pluie… C’est donc la seule chose que propose l’existence, la seule chose à faire dans la vie… Je veux voir ce qu’il y a sur la colline, le monde ne peut pas s’arrêter là... »

 

Et c’est comme ça que, sa décision prise, Coki tire son pied hors du sol et se met en route vers le coteau, ondulant sur ses racines. Derrière lui le parterre de coquelicots tente de le décourager :

« Pauvre fou, mais comment feras-tu pour puiser de l’eau hors de terre, comment mangeras-tu avec tes racines dans l’air, et que deviendras-tu si tes radicelles viennent à sécher ? »

 

Redressant ses pétales gracieusement, Coki ne leur accorde aucune attention, personne ne pourra le faire changer d’avis.

Il ondule déterminé sur quelques centaines de mètres. Mais l’inquiétude le gagne peu à peu tant il est vrai que, si Coki s’est bien nourri en prévision de son voyage, il aura besoin d’eau et une fleur n’a ni bagage ni  gourde pour se ravitailler.

C’est peut-être la première fois dans l’histoire du monde qu’une fleur voyage. Alors personne n’aurait pu lui expliquer comment s’y prendre.

 

Loin du sol un nuage paresseux et gonflé d’eau se laisse porter par le vent. Sous son ventre rebondi, il remarque une tache rouge un peu étrange qui se déplace.

Ce n’est pas une personne, ce n’est même pas un animal…

Le nuage a fait le tour du monde, pour autant, il n’a jamais rien vu de pareil. Il cherche à s’approcher davantage et capture autant d’eau invisible qu’il peut en trouver dans le ciel.

Il s’alourdit et ce faisant, glisse vers le plancher du monde, suffisamment pour comprendre que ce qu’il regarde c’est un coquelicot mobile qui ondule en surface.

Interloqué le nuage ne peut s’empêcher de s’adresser à l’étrange voyageur :

« Gentil coquelicot, je n’ai jamais vu un de tes semblables se déplacer autrement que sous la forme d’une graine. »

 

Coki relève sa corolle et tend ses racines pour deviner qui lui parle, car ça ne vient pas de la terre.

«Ho pour un nuage tu te trouves bien bas dis-moi ! Tu sais, tous mes semblables pourraient faire comme moi et onduler sur leurs racines, mais ils se trouvent bien là où ils sont. Ils n’ont pas à s’inquiéter de manquer d’eau et de nourriture, ils ne craignent rien d’autre que la grêle alors à quoi bon, prendre des risques, à quoi bon un voyage ?

-Mais toi, tu ne crains rien ?

-Si sans doute, mais je n’en peux plus de mon si petit monde et je veux savoir ce qu’il y a sur la colline…

-Je peux te le dire si tu veux...

-Non ! Surtout pas ! Je veux le découvrir moi-même, je veux goûter de nouvelles vibrations, un autre sol et rencontrer d’autres choses… Je suis sûr que le monde ne s’arrête pas après la colline, mais un peu, inquiet Coki ajoute, n’est-ce pas que le monde continue au-delà ? Le nuage tressaute de rire,

-Ha ça c’est une évidence monsieur le coquelicot, le monde ne s’arrête pas : il est rond comme un ballon...

-Un ballon ?

-Ho ! Coquelicot mon joli, il y a tant de chose que tu ignores, je ne saurais pas par quoi commencer, c’est mieux en effet si tu fais toi-même tes propres découvertes ;

-Dis-moi joli nuage, es-tu pressé ?

-Non je paresse dans le ciel aujourd’hui, je n’ai rien à faire d’autre.

-Voudrais-tu bien m’aider, je sais que si tu me suis, je ne manquerais pas de l’eau dont j’ai besoin pour aller sur la colline.

-Pourquoi-pas ? »

 

Le nuage est débonnaire et tout seul dans son ciel, un peu de compagnie, même florale, le distraira… Pendant que l’un flotte et l’autre ondule, le coquelicot raconte sa vie du jour, son ennui et sa curiosité.

 

A son tour le nuage tente de lui parler du monde mais n’a guère le loisir de développer ce qu’il dit. Dès qu’il nomme ce qu’il a pu voir durant ses voyages, Coki l’interrompt :

« C’est quoi une voiture ?

-Une boîte qui roule pour les humains, une boîte fermée comme hier, tes sépales...

-C’est quoi un humain ?

-C’est un animal de chair comme une abeille mais sans ailes et sur deux jambes pour se déplacer comme tes racines…

-C’est quoi une abeille ?

-C’est un insecte qui vient embrasser le cœur des coquelicots…

-C’est quoi embrasser ?

-C’est un baiser donné, une douceur comme la caresse du vent... 

-Je n’ai jamais vu d’abeille ni reçu de baiser…

-J’espère que tu connaîtras les baisers d’une abeille ou d’un bourdon d’un papillon peut-être…

-C’est quoi un bou..

-C’est quoi un bourdon ? C’est quoi un papillon ? Je suis un peu fatigué Coki de répondre à tes questions. »

 

Et ce disant, pour l’embêter un peu mais aussi parce qu’il pense que c’est nécessaire, le nuage contracte sa brume et arrose le coquelicot d’une averse légère.

Coki secoue ses pétales, c’est froid, et déploie ses racines. L’eau de pluie lui fait du bien et il cesse de poser ses questions….

Ils sont au pied de la colline, elle n’est pas très haute à marche d’homme, c’est une montagne pour Coki. Il est impatient d’arriver au sommet et sa sève circule à toute vitesse dans ses nervures c’est comme s’il avait un cœur battant.

 

Quand on s’élève un peu, le monde ouvre une fenêtre.

 

Au sommet de la colline, à perte de vue, des paysages nombreux et différents, comme une galerie de tableaux dans un musée, nourrissent et comblent les désirs de Coki.

Il en était sûr : le monde n’a pas de fin. Il veut vivre ici, il veut voir changer les saisons, changer les paysages, goûter les pluies et les orages et même la grêle s’il le faut.

Derrière lui, une petite tache rouge montre les limites du monde de sa famille. Il est si petit ce parterre de coquelicots…

 

Le nuage quoiqu’en principe il ne le puisse, sourit de la joie de la fleur. Il lui dit doucement :

« Veux-tu que je pleuve un peu ici pour que la terre soit meuble et que tu plonges tes racines ? »

 

Coki enfonce son pied avec soulagement dans la terre mouillée et remercie le nuage, car si rien n’interdit aux fleurs de se déplacer, elles ne sont quand même pas conçues pour cela.

 

Ha ! le soleil se couche...

Ho ! Les paysages se noircissent...

Hé ! Toutes ces lumières aux loin :

« Des maisons, nuage ? Que sont les maisons ?

-Ce sont des boîtes pour les hommes, des boîtes qui ne roulent pas et où ils dorment, et la lumière c’est eux qui la fabriquent, je crois qu’ils mettent des morceaux d’étoiles dans des boules transparentes…

-C’est quoi un homme ?

-je t’en ai déjà parlé, une grande créature sur deux pieds et avec deux feuilles de chair qu’ils appellent des bras, Coki se retient de demander ce que sont la chair ou les bras, le nuage poursuit, les hommes sont un peu cruels avec les fleurs, ils les aiment tellement qu’ils les coupent pour les emmener dans leurs boîtes afin de les admirer. Mais toi tu ne crains rien, tes pétales flétrissent rapidement, il ne servirait à rien qu’ils te prennent : tu fanes trop vite

-C’est heureux, dit Coki apeuré. »

 

La fraîcheur de la nuit, comme un marchant de sable, vient ensommeiller Coki qui ressert ses pétales contre son cœur pistil et s’endort.

Au petit matin, le soleil se lève sur le village plus loin et sa chaleur éveille le coquelicot.

Nuage est parti. Coki soupire, il manque un peu de compagnie.

La rosée s’est déposée sur son corps il fait rouler les gouttelettes vers son pied. Dans la terre, il sent un ver-de-terre pousser ses racines pour passer.

 

Les vers sont des messieurs sans gêne…

Mais ils ne sont pas les seuls, tout à coup une BZZZZ retentissant s’approche de lui. Une bête volante, noire, jaune et poilue entre au centre de ses pétales, il fait vibrer ses ailes avec vigueur, si Coki avait un nez il en éternuerait, il essaye de repousser le bourdon :

« Mais que fais-tu chez moi, courant d’air ?

-Je prends ton pollen pardi !

-Mais c’est à moi ! Fais un peu doucement tu froisses mes pétales et puis tu es lourd !

-Allons petite fleur ne te fâche pas je suis ici pour me nourrir, mais grâce à moi tu auras une bien grande famille… »

 

Coki ne comprend rien et subit un peu contrarié le buzzing du bourdon.

Une fois ses pelotes de pollen gonflées, l’insecte repart. Alors se présente une bête plus légère, elle se pose sur les pétales et frotte les anthères de la fleur avec ses pattes, puis viendront deux ouvrières… Un papillon passe sans s’arrêter.

 

Au sommet du cœur pistil du coquelicot les jolies rayures de sa coiffe capture le pollen que les insectes ont transporté jusque-là.

Le soir venu, épuisé par toutes les visites, Coki perd un pétale, un deuxième, puis le troisième et au milieu de la nuit le dernier tombe au sol, il ne reste sur sa longue tige verte que quatre feuilles et son cœur pistil.

 

Au fil des jours, le coquelicot sent son cœur changer et grossir, se tendre puis se fendre. Le cœur est devenu une capsule, un récipient. À l’intérieur il y a une foule de graines, Coki ouvre la porte de ce nouveau récipient et cinquante-deux-mille-trois-cents bébés coquelicots s’échappent aidés par le vent. Il secoue la tige et la tête de Coki est agitée de gauche à droite, d’avant en arrière, les graines tombent ou s’envolent certaines tout près, d’autres si loin.

Coki réalise alors que sa tige fait naître un autre bourgeon, pour une autre fleur, pour un autre cœur. Coki sera multiple sur sa tige et dans un nouveau champ qu’il a fait naitre.

 

Il y a sûrement, près de chez vous des coquelicots, ce sont les familles de la famille de Coki. Laissez les fleurs se donner aux bourdons, aux abeilles et au vent.

 

 



06/06/2020
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