Petit sortilege sans pretention

Petit sortilege sans pretention

Le grand bonhomme des rêves

 

 

 

 

Ce n'est pas dit qu'il va revenir…

Mais je l'attendrais quand même…
Je vois dans la neige, ses traces. Alors je suis sûre qu'il était là.

C'est un jour blanc, immaculé, un jour de silence. La neige comme une surdité soudaine, éteint tous les bruits du monde.
La glace, son amie pointue, fige les mouvements, elle fige même le verre des vitres, et me rend aveugle, je ne vois plus à rien à l'extérieur..
Il a traversé ce monde de silence pour me venir me rejoindre.


Dans la maison, la vie crépite autour du halo de lumière. Mais il ne faut pas trop s'éloigner de la cheminée. Le froid insolent se faufile par tout les interstice et s'accroche aux fibres de laine puis à la kératine du poil.

Ça fait trois jours que le monde est neige et glace. Il n'y a plus d'accès au monde moderne : plus d'électricité, plus de réseau, internet ou téléphonique, plus de télévision…
Les routes ont cessé d'exister. Dissimulées, elles se sont fondues dans un paysage blême.
Dans ce coin de retraite volontaire, ou ma maison m'isole des hommes, je deviens la prisonnière contrainte d'une solitude particulièrement pesante. La journée passe lentement, dans l'ouate auprès du feu.
Alors, dire que je suis contente d'entendre frapper à ma porte, bien que la nuit soit déjà tombée, est tout à fait insuffisant : je suis soulagée de constater que le monde existe et que je suis encore à portée de l'humanité.

Il est si grand…
Incroyablement grand… J'ai dû sortir sur le pas de la porte, au-delà de la marquise, pour voir le haut de son front. Je ne distingue pas vraiment ses traits mais sa voix est profonde et calme. J'ai l'impression d'être en présence d'un ami. Il me dit
« -Bonsoir, petite madame, je serai heureux que vous acceptiez de m'offrir un peu, la chaleur de votre maison… »

Tout le monde doit lui paraître petit, alors moi qui suis minuscule…

Nos différences seraient sans doute amusantes à regarder, chacun aux extrémités de la taille des Hommes.
« -Il est très tard… et ce temps ? Vous vous êtes égaré ? Entrez, je vous en prie… »

Trois pas dans l'entrée, plié voûté, en inconfortable position, tout à coup, il remplit la maison.

Un thé au coin du feu comme deux amis, je glisse, je l'entends qui chantonne...

 

Je cours sur une terre enneigée. Je cours après un petit garçon rouge de froid, hilare… Il traîne derrière lui sa luge de Noël. Je sais sa peau douce et la chaleur de son souffle. Je sais ses petites mains parfaites, tendres et mobiles. Il a atteint le sommet de la butte, comme une montagne pour lui. Il s'assoie précipitamment sur la luge et descend comme un bolide poursuivi par son rire : il m'a encore échappé, pour son plus grand plaisir...

 

La lumière filtre entre les arbres portée par des rayons de brume. C'est un matin de printemps, je vois qu'il se cache derrière un arbre, il ne m'a pas vue m'approcher. Il est l'amour de ma vie, indéfectible, bienveillant, mon ami pour toujours. Je le surprends d'un bouh retentissant, il sursaute et se tourne dans le même élan, m'attrape à la taille et m'élance pour m'envoler.
Nous vieillirons ensemble…

 

La maladie ne peut plus rien lui faire, elle s'en est extraite. Son sourire rayonnant allume tellement de paix dans son visage. Son combat est terminé, mais elle me dit :
« -Nous savons toutes les deux que nous nous sommes tout dit de l'amour, et des joies que nous avons partagés, tu es ma fille pour toujours. Je t'attendrais de l'autre côté… toi qui
en a douté toute ta vie, maintenant que je suis sur son seuil, je te le dis, il y a un autre côté. » ...

 

 

Une larme roule sur ma joue et le spasme d'un sanglot me ramène au présent le grand bonhomme devant moi a le menton qui tremble. Il chantonne une mélodie troublante puis me sourit :

« -Vous en avez plein votre cœur, des rêves oubliés. Tendre ou douloureux à vivre, tant les perdre vous fut difficile…
J'en suis le gardien. Les rêves oubliés me trouvent, je les
veille pour les faire vivre et je les rends aux rêveurs quand ils partent de ce monde. Pour aider…
-Les rêves oubliés devraient rester près de vous, à quoi bon se les rappeler, ils font mal et c'est tout…
-… Pour se rappeler que la vie qui
vous a changée, n'a pas pu éteindre cette étincelle en vous, qui disait tellement ce que vous étiez. Tous les rêves ne sont pas beaux, mais tous parlent de vous de votre vrai nature...

-Je vais mourir ?
-Pas tout de suite, il sourit, je m'ennuyais. Je passais tout près, je n'ai jamais de compagnie, les rêves occupent tout mon temps et l'espace de mon esprit… J'avais envie que vous me voyiez…
-Dites-moi pourquoi ?

-Je ne rêve pas… Je me suis dit que si je me montrais, vous pourriez me rêver et j'en aurais un presque à moi ?

-Je ne fais pas des rêves sur commande, mais j’essaierai... »

 

Sur les berges hautes d'une cascade gigantesque, le vide m'appelle, dans mon dos je sens la force de mes membres nouveaux. Je fléchis les genoux et pousse sur la pointe de mes pieds. Mes ailes s'ouvrent et dilatent ma cage thoracique. L'air me porte et j'effleure l'eau qui tombe par paquet. Sur les berges du bassin qui accueille l'eau pressée, un très grand bonhomme me regarde en souriant. Sur son bras comme une poutre, un enfant fait de grands signes dans ma direction. Un enfant familier dont il me semble connaître le grain de peau. Ils semblent s'entendre à merveille.
L'air froid rempli mes poumons et me brûle le front ; un sentiment de liberté habite chacune de mes cellules…

 

Le feu est éteint, le jour s'est levé. J'ai froid au nez et à la tête.
Aucune trace de lui, même sa tasse n'est plus là, le fauteuil est vide devant moi.
La lumière d'une lampe de chevet témoigne que ma parenthèse hors du monde est terminée…
Je me lève précipitamment pour regarder dehors.

Devant la porte d'entrée les pas d'un géant ont laissé des empreintes comme un rêve.





18/01/2016

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