Pierrot l'Idiot 2/3
Le Pierrot aimait les choses simples comme des jours qui couleraient sans pierre dedans.
Son ange n'avait plus que ses yeux de bleus. On voyait bien qu'elle était heureuse dans le giron du curé avec Pierrot comme son frère, pour lui tenir compagnie.
Elle n'avait pas vraiment d'amis.
Les filles étaient assez jalouses de l'attraction que la belle exerçait sur les hommes et leurs fils lesquels bien sûr ne souhaitaient pas précisément son amitié.
De plus Sébastien ne digérait pas l'affront. Il dirigeait ses les marionnettes de sa cour en décidant qui méritait de l'attention ou qui n'en méritait pas. Il parlait de Margot avec tout le mépris possible, la nommant la bonne du curé, la bonne à rien d'autre, la fausse timide qui se laissait trousser par un débile. Mais ça ne le soulageait pas : plus il la voyait rayonner et plus il était en colère.
Margot avait de bonnes relations avec les veuves et les jeunes mamans -c'est-à-dire celles qui se désintéressaient ne faisaient pas partie de la cour du fils Minoche.
Le docteur et Pierrot étaient ses seuls vrais amis. Le curé le serait tantôt qui était bien content de cette bouffée d'air frais portée par Margot.
Les jours, pour elle coulaient donc sans cailloux. Pendant quelques mois même, un répit en somme.
Ce qu'un garçon entêté et sans cœur n'obtient pas, il le prend souvent de force.
Il résista une année à son désir et pas seulement celui d'une vengeance.
Mais au bout de tout ce temps, sa rage déborda par tous les pores de sa peau, son sens commun fut soûlé jusqu'à la dernière lueur de raison. Et l'attendant au coin d'une rue, un soir, Sébastien avait sauté sur Margot. Il l'avait entraînée à l'écart plaquant sa main sur sa bouche. Puis dans le pré du père Guignon, il l'avait troussée et violée comme le petit salaud qu'il était. Quand il en eut terminé, il s'enfuit laissant la pauvre dévastée et traitée, une nouvelle fois, comme un objet sans valeur.
Elle se releva et ne dit rien à personne.
Elle rentra chez elle, se lava cent fois. Le lendemain, elle saignait toujours. Elle n'alla pas travailler demandant à Pierrot du dire au curé qu'elle ne se sentait pas bien.
Pierrot inquiet, prévint son père.
Il attendait dans la cuisine pendant que Michel auscultait la jeune fille.
Elle était en larme, roulée en boule dans son lit. La dernière fois que le docteur l'avait vue ainsi elle avait une fracture au radius. Il s'assit au bord de sa couche et lui caressa les cheveux, elle évitait de le regarder :
« Parle-moi Margot, je peux pas t'aider si tu dis rien…
—Le Sébastien ma prise de force…
—…
—J'ai mal et je saigne.
—Il va falloir que je t'examine… Ça va aller.. je m'occupe de toi. Et après je m'occupe de lui…
—Non, Michel non ! s'il te plaît, je ne veux pas que les gens le sachent !
—Je ne te demande pas ton accord ! Je ne vais pas faire une réunion publique, mais ça ne peut pas se passer comme ça, sans conséquences pour lui ! »
Le maire et le médecin avançaient d'un pas pressé, ils allaient chez la mère Minoche. Lorsqu'ils frappèrent à la porte elle ouvrit rapidement :
« Il est arrivé quelque chose à Sébastien ? -le maire qui répondit-
—Pourquoi tu demandes ça Lucienne ?
—Il est pas rentré, depuis hier, il est pas rentré…
—Il est pas rentré d'où ?
—De l'épicerie, il était allé boire un coup avec le Thierry… La Juliette m'a dit tout à l'heure qu'il est parti à la nuit hier ; mais il est pas rentré, pourquoi qu't'es ici avec çui-là ?
—Ton Sébastien a fait quelque chose de mal, c'est pour ça qu'il est pas rentré.
—Non ! Sébastien c'est un bon gars et s'il avait des problèmes, il me l'aurait dit !
—Il a agressé Margot, hier soir…
—Qu'est-ce que tu racontes ! C'est elle qui l'a dit ça ? Cette petite ingrate que j'ai pratiquement élevée ! Elle se retourne contre moi ? Cette petite garce de sainte-Nitouche ? Pourquoi que Sébastien l'aurait agressée ? Q'est-ce qu'elle lui a fait pour ? »
Le docteur interrompt la logorrhée :
« Il a déchiré à l'intérieur de son ventre ! Il s'est conduit comme une bête sauvage ! Ton Fils !
—Ferme ton clapet, t'es qu'un menteur, un sodomite qui profite des enfants… »
Le père de Pierrot ne s'intéressait plus à ce qu'elle pouvait dire, il retourna chez Margot où il avait laissé son fils pour veiller sur elle.
Sébastien ne reparaissait pas. Et le secret de Margot resta un secret, en dehors du curé ; mais celui-là qu'est-ce qu'il ne sait pas ?
Le corps de Margot cicatrisait, mais pour autant qu'elle avait toujours peur, constamment en fait, elle craignait que son bourreau ne revienne. Pierrot l'attendait dès qu'il faisait nuit pour la raccompagner quand elle restait tard au presbytère.
Il avait appris que Sébastien, était un diable aussi. Il n'était pas surpris il y en avait quelques-uns au village, certains mieux cachés que d'autres. Les choses simples, immuables de Pierrot :les démons menaçaient toujours les anges. Il promit à Margot que ce vilain là ne l'approcherait plus :
« Les anges le font…
—Et qu'est-ce qu'ils f'ront les anges, ou toi, t'es pas un diable toi ? Q'est-ce tu f'ras s'il revient ?
—C'est pas moi, je suis pas en colère, je suis un bon petit, je sais qu'il reviendra pas ! Les anges veulent pas ! »
La semence du diable était vigoureuse et parfois les anges ont des enfants.
C'est le docteur qui se rendit compte de son état lors d'une visite de contrôle… Margot avait seize ans et elle était paniquée :
« J'en veux pas moi de cet enfant, qu'est-ce que j'en ferai… et puis tout le monde va savoir, tout le monde…-Elle pleurait-
—T'es pas seule, je vais t'aider et le maire aussi. Les gens savent que t'es une bonne fille…
—Tu sais pas toi… Tu sais pas que les filles étaient amoureuses du fils d'la Lucienne -elle ne pouvait plus dire son nom- tu sais pas que sa mère dit que c'est moi qui l'a forcé à partir, en pactisant avec le Diable et que j'utilise le Pierrot et que j'l'ai envoûté et toi et le curé…
—Dis Margot ! Y sont pas aussi niais quand même !
—Quand on veut détester quelqu'un, on est prêt à croire que les ch'vaux ont des plumes ! »
Sa pratique de la méchanceté ne la trompait pas. La mère Minoche nourrissait à son égard une haine féroce, si elle avait pu la tuer, Margot aurait servi d'engrais à son potager.Chaque jour, elle trouvait des «preuves» de l'ignominie de la garce et la mère Entain faisait l'écho. Les jeunes dindes qui s'ennuyaient dans leurs vies ou qui en pinçaient vraiment pour le fuyard écoutaient ces inepties avec gourmandise :
« Après tout, vous savez qui c'était son père, les chiens font pas des chats et cet idiot qu'est toujours sur ses talons… Elle envoûte les hommes. Pas plus tard qu'hier j'ai vu le corniaud de la Juliette sortir d'sa maison en pleine nuit… J'y ai dit à la Juliette qu'elle f'erait bien d'le surveiller…Mon Sébastien est pas parti… et ch'crois qu'elle sait où qu'il est… Il faudra qu'on m'aide mais elle m'le dira... »
La furieuse perdait un peu sa jugeote : la colère incendie toujours la raison.
Le ventre de Margot s'arrondissait. La mégère ne faisait pas le lien avec l'acte prétendu de son fils :
«Ça s'peut pas, il pouvait avoir toutes les filles ! Pourquoi qu'il aurait choisi cette sorcière ?»
Non, si ce ventre s'arrondissait c'était de la semence de l'idiot :
« Ah, y s'ra beau le fils du Pierrot ! Qui sait si c'est pas le Diable qu'est passé par son corps à lui ? Elle est pas normale cette fille, elle a trop de charme ! C'est pas naturel ! »
Le village ne connaissait rien de l’infamie qui avait frappé Margot et s'ils ne croyaient pas toutes les élucubrations de la Lucienne, ils savaient bien, eux que les anges, ne font pas d'enfant et que, dans toute l'histoire du monde il n'y avait eu qu'une seule Marie.
Ça devait arriver :
« Une jeune fille doit pas traîner comme ça avec un garçon si longtemps … Un idiot ça fonctionnait bien comme un homme ! »
Plus son ventre devenait rond, plus elle avait à souffrir du rejet des villageois… Le curé subissait des pressions, les paroissiens exigeaient qu'il la renvoie :
« On peut pas laisser l'église aux mains d'une dévergondée. Ça salit les lieux ! Si vous faites rien, on peut s'adresser au diocèse ! »
Il était de plus en plus manifeste que les bonnes gens étaient prêt à agir que, si le curé était trop mou, ils prendraient les choses en mains. Les regards posés sur le dos de Margot devenaient glacials et le mépris déformait les bouches.
Michel voulait que Margot parle :
« Non ça ne sert à rien, il est parti ce bon à rien, personne sait où, on dira qu'je mens et que ch'profite du mystère ! »
La situation perturbait un peu Pierrot, il connaissait des choses sur la manière dont sont faits les enfants, il avait vu les bêtes agir et sans entrer dans les détails, le docteur lui avait expliqué… Mais Pierrot était toujours à quelques pas de son ange ; il l'aurait su si elle avait fait l'animal et puis :
« Ils ont des petits, les anges ? » Ah ben oui, moi par exemple. C'est pour ça que ch'uis différent, que ch' peut parler aux séraphins, à maman et que j'ai pas de père ; C'est-y que la Margot elle va faire un comme moi ? »
Il remarquait l'hostilité qui grandissait autour d'eux. Il ne pouvait pas l'expliquer. Ça n'avait aucun lien avec la situation de Margot… Mais dans le fond, ça ne l'intéressait pas plus que ça. Il vivait son quotidien de la même manière.
L'instituteur avait un âge avancé. Il fallait un remplaçant, le maire le fit savoir à l'Académie. Un frais jeune homme, avec une drôle d'allure, comme un pèlerin de la ville fit son apparition, fin août après les venaisons.
Il était en tout début de carrière, il venait d'obtenir son certificat d'aptitude. Il avait vingt-et-un ans révolus comme il se devait.
Le maire et ses adjoints, l'ancien instituteur et la population l'accueillirent, le soir même à la grande salle : un verre de l'amitié fut proposé. Les occasions de faire un peu la fête et de se voir tous ensemble n'étaient pas si courantes.
Margot resta chez elle.
L'instituteur était un bon éducateur qui cependant, resta quand même un peu sous surveillance. Mais il se fit rapidement une place et certaines langues, pressées de le voir choisir un camps, tricotèrent les mensonges au sujet de la bonne du curé :
« Vous savez, cette fille blonde et trop jeune, enceinte jusqu'au yeux, on dit que c'est l'idiot qu'est l'père. Et qu'elle a sûrement des accointances avec le Diable… Vous croyez en Dieu, monsieur l'Instituteur ? Alors vous croyez au Diable, l'un ne va pas sans l'autre... »
La vérité, était que Jacques, l'instituteur, ne croyait ni en l'un ni en l'autre, mais pour préserver son autorité, il avait besoin de l'approbation des villageois.
Il avait croisé la cible de tous les ragots, à l'église, à l'épicerie. C'était indéniable elle était très belle et son ventre rond ajoutait à son charme de femme enfant. Elle paraissait résignée, les gens échangeaient des regards sur son passage et prenaient des attitudes hostiles.
L'épicière, Juliette, plus encore que les autres laissait déborder son mépris, elle ne la saluait pas et lui parlait avec ses dents :
« Qu'est-ce qu'elle veut ? »
Ni bonjour, ni merci, ni au revoir...
Il remarqua, auprès de Margot, la présence récurrente de l'idiot dont on disait qu'il était l'auteur des petits pieds qui poussaient. Jacques venait de la ville. Cette acharnement contre une si jeune femme le dépassait un peu. Il tâchait d'être aimable avec elle, mais pas trop ouvertement . Il ne fallait pas se faire détester tout de suite en s'opposant à la pression sociale.
Il observa souvent le couple étrange « la Belle et l'Idiot» sans relever autre chose que des marques d'affections fraternelles. L'instituteur trouvait intrigante l'histoire de la jeune femme.
Pierrot rôdait autour de l'instituteur, il essayait de savoir dans quel camp il devait le ranger : avec Dieu, ou avec le Diable ? Il s'était déjà trompé, mais maintenant que son ange blond attendait un enfant il ne voulait plus que ça arrive jamais. L'instituteur avait répondu à quelques-unes de ses questions, il trouvait touchantes ces inquiétudes :
« Tu crois que ça existe les anges -Pierre ne vouvoyait personne-
—Comment des anges, avec des ailes et des auréoles ?
—Non, des anges sur la Terre, on voit pas très bien qui en sont. Moi je vois… Alors t'y crois ?
—Il y a de très gentilles personnes partout dans le monde.
—Je suis le garçon d'un ange, je suis très gentil sauf qu'on doit pas faire du mal à Margot. Tu veux faire du mal à Margot ?
—Non Pierrot, il n'y a aucun risque, tu peux me croire, je sais qu'elle est gentille, moi aussi je suis gentil… Tu le connais, toi, le père du bébé dans son ventre ? -Pierrot fronce les sourcils-
—Les enfants des anges ont pas de papa, ils viennent tout seul parce que les anges prient beaucoup ! C'est un cadeau qu'on leur fait. »
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