Oupir le vampire
Les paysans ont des croyances selon lesquelles, les pierres posées sur le cœur et les membres d'un défunt, l'immobilisent à jamais. Mais bien qu'enterré selon les rites, le seigneur de l'Oupir se réveilla.
Les paysans ont des croyances…
Il avait été un seigneur clément et généreux, les petites gens ne le craignaient pas trop et son épouse la Dame de l'Oupir le pleurait avec désespoir et elle le suivit de près, laissant en se monde un unique enfant.
Enfin elle le "suivit" n'est pas tout à fait exacte...
Avec le recul les gens de Poprad au bord du Vah pensaient que c'était ce qui avait mis le seigneur de l'Oupir en chasse. Son épouse, qu'il aimait tant, lui avait toujours dit que quoiqu'il advienne et où qu'il aille, elle l'accompagnerait.
Mais cette promesse n'avait été que partiellement respectée ; tandis que son épouse s'élevait vers le ciel, le seigneur de l'Oupir se réveilla dans sa tombe, seul, écrasé par des pierres innombrables avec une faim dévorante au ventre. Et son cœur brûlant de rage ne battait plus !
Graduellement il se rappelait ce qui lui était arrivé : après une campagne épuisante pour calmer ses vassaux, le seigneur rentrait en son château avec ses gens .
Il somnolait dans la voiture tirée par six chevaux qui fonçait à travers la forêt dense. Les secousses ne l'éveillaient plus.
Il aurait préféré circuler directement sur le dos d'une bête, mais il devait afficher son rang et sa fortune.
C'est l'odeur qui l'avait brutalement tiré de son sommeil. Une odeur lourde, ferreuse. Il ouvrit les yeux et s'était retrouvé nez à nez avec un vampire ; à cause de son nom le seigneur de l'Oupir* était-il prédestiné ? Il n'eut pas le temps d'y penser davantage et reçut le baiser écarlate.
Ce vampire était une grande créature brune à la barbe imposante. Il portait une fourrure au dessus d'une longue robe de laine. La robe devait l'aider à lutter contre un froid que rien ne peut véritablement soulager (le seigneur de l'Oupir le découvrirait bientôt à son tour). En effet les seuls moments où un vampire a chaud, c'est lorsqu'il vient de se « restaurer ».
Le seigneur de l'Oupir ne s'était pas vanté de son aventure, seigneur ou pas, une morsure de vampire entraînait inévitablement une condamnation à mort.
Mais il n'avait jamais été cruel, il se disait que sa nature profonde lutterait contre la malédiction. Il n'eut pas à lutter à l'instant. Il perdit rapidement connaissance.
Ramené au château, nul ne pouvait expliquer le malaise du seigneur. Les hommes de médecine l'avaient examiné et trouvé les marques du baiser écarlate, mais ils se turent. La vieille nourrice aimait son enfant de lait et elle y veilla : l'or achetait tous les silences.
Mais Konrad, lui, avait parlé.
Pour ne pas rompre sa promesse, il rendit à la terre l'argent maudit. Il raconta le terrible secret à sa femme et à son père. Et, comme dit le proverbe, secret partagé, secret défait.
Le seigneur de l'Oupir mourut rapidement. Les paysans qui n'attendaient que cet instant forcèrent la demeure.
La garde complice, avait cloîtré la Dame. Le peuple vola le corps pour l'enterrer selon les rites...
Car voyez-vous, les paysans ont des croyances.
Le seigneur décédé mais s'éveillant sous les pierres avait pensé pouvoir résister et, pourquoi pas, rester en terre.
C'était sans compter la faim dévorante de son corps.
Il s'extirpa de sa tombe, ses nouvelles forces firent merveilles.
Au début, il lutta avec courage contre sa nouvelle nature : il chassait les écureuils, les oiseaux, les mammifères....
Mais la faim, la solitude et l'amertume finirent par triompher.
Il succomba.
Il s'en est pris aux vieillards, aux miséreux, aux malades... Il espérait vaguement qu'un sang mauvais le tuerait...
Mais les vampires ne meurent pas. A la fin de chaque repas, il détruisait ses victimes : il ne contaminerait personne et resterait le seul vampire. Un prédateur pour la vallée du Vah était bien suffisant !
Petit à petit sa nouvelle condition défit sa nature humaine et le seigneur est devenu l'Ouril, la malédiction de Poprad. La seule chose qui l'attachait encore à l'humanité était sa fascination pour les femmes brunes et gracieuses comme feue son épouse ; mais le vampire en lui parvint à pervertir cela aussi. Les femmes de ce type devinrent ses victimes privilégiées.
Au bord du Vah, vivait l'une de ces jeunes filles. Une femme brune et gracieuse. Dans le village, on savait qu'elle connaissait les plantes et leurs usages. Étonnant que l'Ouril ne l'eût point encore remarquée ! Mais elle était sage et ne sortait pas la nuit, elle connaissait les dangers de sa région et ne recherchait pas l'aventure.
Cependant, il advint que la pauvre enfant soit appelée au château. La descendance de l'Ouril, le maudit, s'éteignait.
Slava se rendait au chevet du petit fils de l'Oupir, afin de l'aider si elle le pouvait. Elle devait y passer quelques nuits. Personne n'aimait plus se rendre dans cette immense demeure de pierres, les premières filles à disparaître avaient été enlevées tout près de la bastille.
Mais Slava était courageuse et elle savait que le mourant avait besoin de son savoir.
Elle fut accueillie par quelques serviteurs vieillissants et tristes, l'ambiance du château était déprimante. Après avoir vu son malade et prodigué quelques soins, elle se retira dans une petite pièce à côté du vieux seigneur.
Par une fenêtre très étroite, elle contemplait la lune et chantait.
L'Ouril rôdait souvent sur ces terres qui furent les siennes. Il avait tout désormais du vampire slave qui avait croisé son chemin cent-soixante-quinze ans plutôt. Il était vêtu de la même façon .
A mainte reprise, le vampire avait tenté de se donner la mort, laisser le soleil le consumer était certainement la solution, mais sa tentative avait été si douloureuse qu'il avait écarté cette solution. Un jour peut-être...
Lors d'une de ces tentatives, il y a fort longtemps, il avait sauté de très haut, et, de façon surprenante, il s'était transformé en chauve-souris.
Désormais, pour lui, voler était un jeu d'enfant et c'était un des rares plaisir de l'ancien seigneur. C'était ce qu'il fit au son du chant de la jeune fille, en entendant la voix claire et légère de Slava il prit son vol jusqu'à la fenêtre ouvragée de vitraux. Lorsqu'il la belle, il se troubla et désira violemment la dévorer, la consommer toute entière, se délecter de son sang et ne rien laisser de sa chair !
Il entra au château par une porte dérobée et parvint à la chambre de la jeune fille sans encombre.
« S'il te plaît, dit-il au travers de la porte, j'ai besoin de tes soins ! ».
Instantanément la jeune fille sut à qui elle avait à faire. Son patient était bien trop faible pour parler, alors se lever et toquer à sa porte, c'était parfaitement impossible. Son cœur cognait dans sa poitrine. C'est une chose de connaître un danger, c'en est une autre que de l'affronter.
«- Mon seigneur, vous prendrez froid, si vous ne retournez pas au lit !
-En effet j'ai bien froid et je tiens à peine sur mes jambes. »
La clef joua dans la serrure de la jeune fille. L'Ouril salivait, il attendait impatiemment de tenir cette chair dans ses bras, contre ses dents.
Il se jeta sur l'ombre qui passait par la porte. Mais ce qu'il tenait entre ses mains n'était qu'un manteau de peau et de fourrure.
« Tenez, lui dit la jeune fille, cela vous protégera du froid. »
En Slovaquie, on avait un peu l'habitude des créatures comme l'Ouril et suivant en cela, ce qu'on se répétait depuis plusieurs générations, Slava avait frotté le manteau sur son corps avant de faire couler dessus, quelques gouttes de son sang. Aveuglé par la faim et l'odeur du sang, l'Ouril dévora la l'habit comme s'il se fût agit de la jeune fille. Bien sûr, il n'était pas dupe, mais il ne pouvait pas résister au sang et à cette promesse de festin.
«Seigneur de l'Oupir, vous semblez bien mieux et plus vaillant. Je crois que je pourrais vous sauver en préparant une potion dont il faudra que vous me cherchiez, ou me fassiez chercher les ingrédients.
-Pourquoi n'y allez-vous pas vous-même, demanda l'Oupir soupçonneux ?
-Oui, je pourrais y aller, rendez-moi mon manteau.
-De quoi avez-vous besoin ?
-Ramenez-moi des orties du cimetière.
-Vous m'ouvrirez après, n'est-ce pas ?
-Bien sûr, lorsque la potion sera prête.... »
Dix fois l'Oupir partit et revint, dix fois la belle réussit à le convaincre de lui chercher d'autres ingrédients. Elle ne devait pas le fâcher, il ne devait pas soupçonner qu'elle l'avait percé à jour. Sinon il pourrait user de magie et pénétrer dans son sanctuaire. Plus le temps passait, plus il était difficile de convaincre le vampire, le repas de peau l'avait à peine calmé et il ne tarderait pas à devenir plus agressif :
« Seigneur laissez cela devant la porte.
-Allons, ouvrez-moi vous n'êtes pas raisonnable, je pourrais attendre près de vous, vous aider peut-être...
-Ce sont mes secrets de sorcière et je ne permets à personne de voir la façon dont je m'y prends, il ne s'agit pas de souplette ! Vous m'avez cherché le bois, posez-le devant la porte et ramenez moi un chaudron, la cuisson va pouvoir commencer !
-Cette fois-ci, il SUFFIT... que vous le vouliez ou non j'en...
-Allons mon seigneur ne perdez pas patience, vous touchez au but et moi aussi, il s'agit de la dernière chose dont j'aie besoin, je vous le promets, et vous retrouverez jeunesse et santé. »
En grommelant, l'Oupir se soumit en se promettant qu'effectivement il s'agissait de sa dernière course !
Dans la pièce où reposait le malade, ainsi que dans tout le château, de lourdes tentures, partout couvraient les fenêtres, la lumière blessait le vieil homme. Mais pour l'Ouril qui voyait de nuit et qui connaissait son château par cœur, se déplacer dans le noir n'était pas difficile. Il revint rapidement et la porte de la chambre était ouverte ! Enfin !
La délicieuse enfant était près de la fenêtre et lui tournait le dos. L'Oupir sentit sa mâchoire se tendre et ses crocs pousser. La jeune fille lui dit :
« Vous avez trop tardé mon cher et je vous adieu. »
Elle se tourna vers lui en souriant et alors que le vampire se jetait sur elle, elle tira la tenture. Un soleil éclatant pénétra dans la pièce et heurta l'Ouril de plein fouet.
Celui-ci se mit à fumé fut soumis à la douleur qu'il avait effleuré autrefois, il fit demi-tour pour s'enfuir mais Slava était déjà sortie en fermant l'huis. Le vampire flamba, totalement.
La jeune fille aimait à raconter qu'à travers la porte, elle avait entendu un faible merci.
Elle ramassa les cendres et veilla à les disperser dans le Vah : on est jamais trop prudent.
Slava ne pu sauver le dernier représentant des seigneurs de l'Oupir, mais elle acquit une grande renommée qui devait autant à son exploit qu'à ses talents de guérisseuse.
Le château, curieusement changea de visage, il semblait plus avenant.
Il paraît qu'à Poprad, l'Ouril était le dernier vampire, alors la malédiction semblait levée. Slava et toutes les jeunes filles de son village pouvaient recommencer à respirer, il n'y aurait plus de disparition.
Un jour, peu de temps après son exploit, un jeune aveugle vint en la demeure de Slava. Il avait entendu parler de ses talents de guérisseuse et il souffrait beaucoup de son infirmité.
La jeune femme sut trouver un remède et le jeune homme, petit à petit, recouvra la vue.
Au fur et à mesure qu'il allait mieux, il rendait des services et devenait indispensable. Il avait un grand talent : il connaissait les gens simplement en les regardant. Cette grâce l'attacha à Slava pour toujours.
Ensemble ils eurent des enfants courageux qui savaient lire dans le cœur d'autrui. Le fils aîné devint un redoutable chasseur de vampire de par le monde, paraît-il.
Tout le monde pouvait le reconnaître car il portait un cercle d'or autour de son cou. Il voulait croire que ça le protégerait d'une morsure.
Oui, c'est ce que les gens racontent car, voyez-vous les gens ont des croyances.
* Oupyr en russe mort vivant tuant les humains en buvant leur sang
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