Petit sortilege sans pretention

Petit sortilege sans pretention

Fleur et Tiroc 1/2 ( dés 6/7 ans )

 

 

Combien ça mesure un ogre quand il n’est pas petit ?

Vous savez les ogres, ces créatures qu’on dit dangereuses et qui mangeraient les enfants.

On raconte qu’ils sont bleus, moches -enfin ça c’est un point de vue d’humain― avec de grosses, grosses dents et qu’en plus ils sont idiots.

Visiblement les hommes ne les aiment pas

 

Mais je n’ai jamais vu d’autres ogres qu’un demi-ogre et sa petite maman

Alors je réfléchis, combien ça mesure un ogre, une montagne, non quand même… une montagne, le monde entier les aurait vu…

Ont-ils la taille d’une maison ? D’un arbre ?

Ce n’est pas qu’il faille absolument le savoir, combien mesure un ogre mais je me suis posé cette question toute ma vie, chaque fois que je pensais à Tiroc et chaque fois que je buvais de la potion -une cuillère à café pas plus-.

 

Tiroc n’est donc pas très impressionnant pour sa race. Son papa Lait, en revanche, pour un humain est très grand, je l’ai vu. Et maman Croque pour une ogresse est parait-il, très petite, je l’ai vue aussi mais comme je ne connais pas leur taille normale et bien je continue à me poser cette question : ça mesure combien un ogre.

 

Je vous raconte l’histoire de mon ami ?

 

Je me souviens, j’ai neuf ans. Ce jour là je me promène au milieu d’un peuple de séquoias et je vois un des arbres avec des bras blancs.

Et tout à coup je vois la grosse bouille de Tiroc, jusque-là cachée par le tronc, se déplacer pour me regarder : on aurait dit qu’une tête poussait sur le tronc d’arbre. Demi-tour et je me sauve en courant. Le grand machin blanc sort de sa cachette et me poursuit ; il braille :

« Pas peur ! Pas peur ! »

 

Il me rattrape en quatre pas.

Bon ! Moi pour une humaine, je suis très petite, ce n’est pas difficile de me courir après, je perds toujours quand je joue au loup glacé.

 

Pas peur !

Un géant blanc avec un gros ventre et une grosse tête, criant aussi fort qu’un cor de chasse… Évidemment que j’ai peur ! En plus les ogres ça mange les petites filles, non ?

Il m’attrape par le bras, très fort :

« Aïe, aïe, aïe… Me mange pas j’ai très mauvais goût je sens l’ail ! J’en croque tous les jours… »

 

Il me lâche immédiatement :

« Pas peur ! Pas manger viande dégoûtante ! Pas peur… »

 

Je recule discrètement prête à m’enfuir encore et je me dis que c’est bizarre d’être comparée à une viande dégoûtante… Mais le géant blanc s’assoie en pleurant :

« Tiroc pas méchant ! Tiroc tout seul ! Tiroc triste… Tout seul longtemps, beaux les arbres, beaux les lapins, bons les poissons… Mais personne parle à Tiroc... »

 

Je ne sais pas comment pleurent les ogres mais les demi-ogres ça fait un bruit épouvantable comme un tremblement de terre. Je déteste voir les créatures pleurer : ça tord mon cœur comme une éponge et moi aussi je pleure. Alors je secoue la tête pour chasser la poussière de mes frayeurs à son sujet. Je me dis:

« Il ne va pas te manger, il est triste, il a l’air gentil… »

 

Et aussi :

« Mais il faut faire attention il est très fort et ne s’en rend pas compte, parce que sur mon bras, là où il m’a saisie, j’ai un bleu. »

 

Il frotte ses yeux et fait trembler les séquoias par ses sanglots, je dois me boucher les oreilles et je m’approche. Je lui fais un bisou sur le bras. Il s’arrête de pleurer et il se met à rire. Mon Dieu ! C’est aussi bruyant que ses pleurs mais ça chatouille le ventre et ça me fait rire tout autant que lui…

 

Nous passons du temps ensemble et avant de partir je promets que je vais revenir.

En rentrant, je ne parle pas de ma rencontre avec mon gentil géant, je ne dis rien à mes parents ou à mes copains parce que je ne veux pas qu’on lui fasse du mal.

Il y a tellement de gens qui s’en moquent quand des créatures pleurent ou qui font du mal aux autres parce qu’ils sont différents…

 

Pendant quelques semaines, tous les jours après l’école, je cours dans la forêt de séquoias retrouver mon ami. Je lui demande quel âge il a et où sont ses parents et les autres ogres...et tout ça.

 

« Tiroc sait pas c’est quoi âge.

C’est combien tu as vu d’étés ou d’hivers ?

Comment fait pour rappeler les hivers ?

On compte...

Tiroc sait pas compter.

Es-tu un bébé ?

Non !

Es-tu un enfant ?

Sais pas...

Montre tes dents !

Holà là, elles sont très grosses tes dents et il en maque deux devant : tu as six ans !

Ha ? Tiroc six ans ! 

Tiroc c’est où qui sont tes parents ?

Maman Croque partie.

Où ?

Avec Tribu ogres… Tiroc triste… Maman dit pas gentil les ogres avec Tiroc, reste avec papa. Ogres s’en vont dans porte des étoiles pour trouver monde à ogres.

Ben dis-donc… Et alors il est où ton papa ?

Tiroc pas trouvé.

Il habite où ? Il est comment ?

Maman croque dit très grand humain cheveux blancs comme lait, peau blanc comme lait, père de lait, maman dit vivre ici, forêt des géants…

Je vais t’aider à trouver ton papa. »

 

Ben, c’est pas facile de trouver quelqu’un toute seule quand on a neuf ans. Alors je me décide à parler à mon frère, des fois c’est mon ami, il est gentil. Et des fois c’est un grand frère…

 

Ce jour-là, il est allongé sur son lit et il compte les moutons qui sautent des barrières dans sa tête et après les moutons se transforment en cochons et puis en lamas et en éléphants. Mais les éléphants ne peuvent pas sauter par-dessus les barrières, ils les écrasent, alors mon frère imagine des gens avec des marteaux et des clous pour réparer les barrières…

Il soupire dans son lit et se retourne

Il me voit dans l’encadrement de sa porte. Je n’ai pas le droit d’entrer s’il ne me le permet pas. Il me raconte l’histoire dans sa tête et puis aussi qu’il s’ennuie. Je me dépêche de lui parler :

« Je cherche un homme très blanc qui est très grand…

Tu cherches où ?

Dans le monde entier... »

 

Mon frère me regarde et il re-soupire, il allume son ordinateur et il écrit « homme très grand blanc »… On voit des hommes très grands mais rose comme moi. J’explique que les hommes doivent être blanc comme du lait. Mon frère a changé sa demande « homme très grand albinos »

On a vu plein de personnes blanches comme du Lait mais aucune où c’est dit qu’elle est une personne très grande.

 

Mon frère s’impatiente :

« Tu peux me dire pourquoi je fouille pour trouver un grand albinos ?

J’ai un copain qui cherche son papa et tout ce qu’il sait c’est «  très grand humain cheveux blanc comme lait, peau blanc comme lait, père de lait »…

Ben tu vois, on peut pas le trouver comme ça !

Je sais pas comment faire pour l’aider il est tout seul et il n’a que six ans ! Mon frère devient très sérieux,

Miette ! Oui il m’appelle Miette, ou Microbe ou Minus mais mon nom c’est Fleur, on ne peut pas laisser seul un enfant de six ans, il ne peut pas se débrouiller !

Ho, tu sais il est très fort, il pêche du poisson et il a jamais froid,

Mais ça n’a rien à voir… Un enfant doit avoir un parent, aller à l’école, on doit s’occuper de ses habits, de lui s’il est malade. »

 

Pendant qu’il parle je secoue la tête, il n’ira pas à l’école, il ne porte pas des habits sauf un rideau autour de ses fesse, et je ne sais pas s’il peut être malade mais un docteur saurait sûrement pas comment le soigner !

 

Mon frère s’énerve, il menace de tout dire à nos parents. Alors je pleure et je le supplie de venir avec moi dans la forêt des séquoias.

Je suis obligée d’appeler Tiroc plusieurs fois, comme je lui ai dit que les gens ne sont pas gentils et qu’il me voit sûrement avec mon frère, peut-être qu’il n’ose pas se découvrir.

« C’est mon frère Tiroc, il est gentil souvent, il s’appelle Léonard… »

 

Alors des bras poussent de chaque côté de l’arbre où il se cache et le géant penche la tête comme la première fois. Mon frère crie, il m’attrape la main et il part en courant et en me traînant derrière. Mais moi aussi je crie

« Arrête ! Arrête ! »

 

Et je secoue ma main pour qu’il me lâche, je réussis à lui échapper et je me précipite dans les jambes de Tiroc.

 

Mon frère s’arrête, Tiroc s’assoie et je me mets à cheval sur son genou.

« Il est gentil, c’est lui qui cherche son papa, tu comprends pourquoi on peut rien dire ? Les gens sont méchants, tu sais bien. »

 

Mon frère ne dit rien d’abord et puis il me demande :

« Il vit là depuis longtemps ?

Depuis que sa maman l’a laissé.

Pourquoi elle l’a laissé ?

C’est une ogresse et les ogres sont partis…

Où ça ?

… Portes des étoiles, chercher monde ogre, maman Croque dit reviendra quand monde trouvé... »

 

Mon frère me regarde :

«Ça cause un ogre ?

C’est un demi-ogre… »

 

Mon frère il a quatorze ans. C’est pour ça que je peux compter sur lui, c’est presque un adulte. Léonard peut enfin regarder Tiroc :

« Alors comme ça t’es un demi-ogre et tu cherches ton père ?

Tiroc tout seul, Tiroc cherche son père…

C’est vrai que tu es blanc comme du lait, c’est ta mère qui est blanche ?

Non Maman croque bleue… Papa homme tout blanc

Comment il s’appelle ?

Sais pas. Maman Croque, Papa blanc boire potion sorcière, pour tomber amoureux… Méchants ogres embêter maman, embêter Tiroc…

- Pourquoi elle est pas restée avec toi ta mère s’ils sont méchants avec elle ?

―Trop grande, pas rester ici mais famille pas méchante et chercher maman Croque chercher nouveau monde pour elle et Tiroc… Beaucoup pleuré. Tiroc cherche papa lait. »

 

Tiroc hésite un moment fouille dans le rideau de son vêtement. Il en sort un disque doré au bout d’une chaîne, minuscule dans sa grande et grosse main. Il me le tend, ça ressemble à un boîtier en pendentif et je l’ouvre sans difficulté. Dans le bijou, une photo étrange est cachée.

Une ogresse sourit de toutes ses dents et un homme tout blanc des cheveux à la peau, la tête sur la poitrine bleue a l’air au paradis. Tiroc ouvre de grands yeux : il ne savait pas que le bijou s’ouvrait et avec ses gros doigts il n’aurait sans doute pas pu le faire. Il murmure tristement :

« Maman Croque, Papa blanc... »

 

Mon frère s’approche. Il prend le médaillon et regarde à l’intérieur, il enlève l’image pour voir si quelque chose est écrit dessus. Mais c’est gravé dans le médaillon en tout petit : 

« Devant le séquoia noir, où le temps chahute, je t’attendrai toujours. »

 

Tiroc pleure et les séquoias avec lui. Léonard agrandit les yeux et on se bouche les oreilles aussi longtemps que le chagrin secoue notre ami. Il est tout barbouillé de larmes et son nez dégouline. Je me suis éloignée et je propose à mon copain de laver son nez dans la rivière pas loin, où il pêche ses poissons.

 

C’est un pêcheur incroyable, il ne peut pas ouvrir un médaillon mais on dirait que les poissons attendent qu’il les attrape. Il se met assis dans l’eau, il cesse de bouger et tout à coup il lève le poing et dedans il y a un poisson.

 

Maintenant que Tiroc a mangé, il nous propose son dernier poisson :

« Non merci Tiroc Léo et moi on mange pas de poisson cru… »

 

Tiroc se débarbouille et nous raconte qu’il sait où est le Séquoia Noir que c’est là que sa maman l’a laissé. Il est tard Léo et moi devons rentrer. Nous promettons à notre géant de revenir demain et sommes impatients qu’il nous montre l’arbre noir.

 

C’est difficile pour moi de m’endormir le soir venu. Papa et maman se sont étonnés que Léo et moi passions autant de temps ensemble : ils ont plutôt l’habitude de nous voir nous disputer…

Léo bredouille que je traîne en forêt et que je suis pas assez prudente. Maman lève un sourcil et papa ses yeux au ciel.

 

Dans mon lit et je fais comme Léo : un mouton saute par-dessus un buisson, un deuxième mouton bondit au-dessus, puis un autre, puis un…

 

« Hé ! Microbe ! Bouge, on déjeune et on y va ! »

 

Je me lève rapidement même si je me sens fatiguée.

Deux tartines et un chocolat plus tard, je cours derrière mon frère vers Tiroc.

Il nous attend assis au bord de l’eau, des têtes de poisson sont à côté de lui. Il s’appuie sur ses mains derrière lui, le visage tendu vers la lumière.

« Bonjour Tiroc !

Tiroc bien mangé, content voir Léo avec toi…

-Salut Tiroc, t’es prêt ? On y va ? »

 

 

Fleur et Tiroc 2/2

 



28/06/2020
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