Fleur et Tiroc 2/2 (dés 6 ans )
Histoire complète en Audio
Tiroc un peu pataud se lève et se redresse. Il se dirige vers l’arbre où je l’ai vu apparaître la première fois.
On marche une demi-heure, c’est loin ! Je n’aimerais pas me perdre :
« Tu fais quoi Léo ?
― Des marques, je veux pouvoir rentrer tout seul, Je ne veux pas compter que sur Tiroc, peut-être qu’il ne sait pas trop où il va…
― Tiroc sait ! Tiroc pas se perdre jamais dans forêt ! »
Au bout d’un moment je vois à mes pieds une colonne de fourmis, longues et épaisses, je les suis des yeux je ne vois pas d’où elles viennent, ni ne peux deviner où elles vont mais c’est étrange, elles semblent aller au même endroit que nous. Léonard n’a rien remarqué.
Tiroc marche le nez en l’air, il marmonne des choses que je ne comprends pas :
« Souffri à bras du grand, semprion, corbine bras cour à gauche ―il tourne à gauche― cripou cripou ormille… nous arrivés ! »
Et devant nous la forêt s’ouvre sur une grande clairière plutôt étrange baignant dans une lumière irisée. Des fleurs par terre, basses, très nombreuses et colorées, des buissons avec des fruits tout autour de la place… Un endroit ordonné, comme si un jardinier s’occupait soigneusement des lieux, un endroit traversé par un petit cours d’eau. Au milieu de cette clairière féerique un séquoia au tronc large comme une maison s’élançant jusqu’au ciel. Son tronc est noir.
Tiroc s’approche :
« Arbre noir, porte des étoiles…
― Comment ça porte des étoiles ? Qu’est-ce que ça veux dire Tiroc, décidément Léo n’a plus peur de notre ami,
― Porte, maman Croque partie chercher monde pour ogres…
― Je ne vois pas de porte. Où est la porte…
― Sorcière siffle, porte s’ouvre…
― Alors on peut pas aller là où est partie maman Croque. Je suis triste pour Tiroc mais Léonard me dit,
― On veut pas rejoindre sa mère, on cherche son papa. Dans le médaillon, il est écrit « Devant le séquoia noir, où le temps chahute, je t’attendrai toujours. », je ne sais pas ce que signifie le temps qui chahute mais on est bien là, devant le séquoia noir ! s
― Peut-être que le papa blanc en a eu assez d’attendre... »
Mais mon frère fait le tour de l’arbre il regarde à son pied, on ne peut pas monter sur un séquoia, il faut des cordes et des chaussures spéciales… Si le papa attend en haut, on ne peut pas le rejoindre, alors je crie :
« PAPA BLANC, PAPA DE TIROC, SI TU ES LÀ-HAUT, IL FAUT QUE TU DESCENDES ! »
Mais il ne se passe rien. Notre copain, est assis par terre et nous regarde sans qu’on puisse imaginer ce qu’il pense.
Tout soudain mon frère nous appelle :
« Hé ! Y’a un gros trou ici… Derrière un tas de ronces et de fougères Tiroc ne peut pas passer mais nous si !
― Ha non ! Moi je vais pas dans le trou, je le rejoins, il y a sûrement des araignées et des trucs dégoûtants…
― T’es une trouillarde, microbe, tu dis que tu veux aider ton ami mais dès qu’on doit faire un truc un peu bizarre tu ne veux plus rien savoir ! »
Je ne suis pas contente que ce grand imbécile se moque de moi, mais il n’a pas tort… Je regarde Tiroc, je regarde le trou où Léonard vient d’entrer. Je me dis il doit faire tout noir là-dedans alors je retiens ma respiration et je le suis.
C’est étrange mais on voit dans l’arbre. Un tunnel tout fait d’écorce permet de descendre il s’enfonce dans la terre et sur le bois il y a partout des champignons phosphorescents… Alors je vois où je mets les pieds et mon frère devant moi avance prudemment.
Le chemin s’arrête dans une grotte. Comme c’est étrange qu’au milieu des racines d’un arbre, on puisse trouver une grotte…
Au centre une grande pierre plate sert de lit à un homme très grand, aussi grand peut-être que Tiroc. C’est papa Lait. Il est couvert d’une toile tissée, seul son visage dépasse et peut-être qu’il est mort. Mon frère se détend :
« Non Microbe tout va bien : regarde sa poitrine se soulever, il respire, il dort... »
Et soudain, de l’ombre, sort une créature vraiment étrange et pas fort jolie selon ce qui, pour moi, est une jolie personne.
Si quand même ! Elle a les cheveux bouclés en pétard (comme dit maman quand elle veut que je me coiffe) ils sont tout gris, sa peau dans la nuit de la grotte est un peu orangée, elle a une très grosse bouche et un nez large, quatre doigts aux mains et ses fesses soulèvent sa robe derrière parce que son postérieur est comme son nez : bien large… mais tout ceci n’est rien, c’est son troisième œil, au milieu du front qui me fait peur, et un coup d’œil à Léo me dit qu’il n’est pas rassuré non plus. Elle nous accueille en râlant, elle a la voix d’une vieille, vieille femme :
« Rahhhh, des demi-Hommes, qu’est-ce que vous faites là ??? Je savais que j’aurais de la visite aujourd’hui, je pensais qu’un renard viendrait me servir mon dîner ! Que faites-vous là non d’un phérulon ? Mais ne restez pas les bras ballants ! Et fermez la bouche c’est impoli de dévisager ainsi une personne ! N’avez-vous donc jamais vue une devineresse ? Mon frère prend sur lui pour répondre timidement,
― Non madame…
― Bon il suffit… Au revoir ! »
Au revoir ? Ha ben non alors ! Je ne suis pas d’accord :
« Mais madame on ne peut pas partir sans le grand homme blanc, la devineresse à l’air outré,
― Mais de quoi te mêles-tu ? Il n’est pas à toi que je sache, j’oublie que je m’adresse à un être à part,
― Mais c’est une personne, il n’est pas à vous non plus, à la rigueur il est à Tiroc ! Mon frère, inquiet, me donne un coup de coude,
― Je n’ai pas dit qu’il est à moi ! Je le soigne insolente!
― Il est malade ?
― Évidemment qu’il l’est !
― Qu’est-ce qu’il a ?
― Mais tu n’arrêtes donc jamais tes questions ? Allez ouste dehors ! Les demi-Hommes me cassent les oreilles et les pieds !
― Mais on peut pas partir… Tiroc est dehors, il est tout seul, sa maman Croque est partie et il cherche ce papa. Il a besoin de son papa…
― COMMENT ? Croque a eu un bébé, avec ce grand dadais blanc ? C’est impossible ! C’est un mélange de races interdit, d’ailleurs les ogres ont disparu depuis vingt lunes au moins…
― Il est dehors, madame ! »
D’un pas décidé et ce malgré son postérieur qui fait comme un balancier quand elle se déplace, la devineresse nous pousse sur le côté et entreprends de remonter vers la lumière ! Nous la suivons.
Nous la retrouvons la bouche grande ouverte et les yeux écarquillés devant Tiroc, bouche ouverte et yeux écarquillés !
« Tu t’appelles Tiroc et tu es un demi-ogre, tu cherches ton papa ?
― Tiroc cherche papa Lait, regarde Trois Yeux ? Il lui tend le médaillon,
― Tsss ! Je m’appelle Chancielle ! »
Elle n’a aucune peine à ouvrir le bijou, et ses yeux s’agrandissent encore. Et quelques secondes plus tard sont troisième œil roule et tourne dans sa tête ! Beurk ça fait un œil tout blanc, je détourne le regard.
« Ça alors ! Croque et l’homme blanc ! Pas étonnant qu’il soit malade, maintenant que j’ai compris je vais pouvoir le soigner efficacement ! Elle repart rapidement en nous lançant, et restez-là je n’ai pas besoin de petites bêtes curieuses dans les jambes ! »
Tiroc la regarde un peu étonné et sa bouche fait une légère grimace, qui semble signifier que la devineresse lui fait un peu peur, à lui aussi. Je lui prends la main :
« On a trouvé papa Lait !
― PAPA LAIT ! ILÉOU ? ILÉOU ?
― Il est dans la maison de Chancielle, en bas, tu ne peux pas y aller le tunnel est trop petit, mais je suis sûre qu’elle va revenir.
Du temps passe.
Je ne sais pas combien de temps.
Mon frère joue avec son portable et je grogne :
« Tu fais pas des photos hein ?!
― Pfff dis-donc ! Tu me prends pour qui Minus ? C’est mon copain aussi, je te signale !
― Tiroc copain Léo ! Et il hoche vigoureusement la tête ! »
Léonard retourne à son téléphone, moi je triture l’herbe et Tiroc, lui, est tendu vers l’ouverture du séquoïa.
Enfin on entend des voix.
Chancielle sort la première et le grand homme blanc la suit de près, il est obligé de se baisser pour franchir le passage de l’arbre.
Il s’arrête à quelques pas de Tiroc, sans un mot et de grosses larmes roulent sur ses joues.
Tiroc se lève d’un bond, il a une tête de plus que papa Lait, mais il se jette sur lui pour le serrer dans ses bras. Je ne peux pas m’empêcher de crier :
« L’écrase pas Tiroc, tu vas lui briser les os, ce n’est pas un ogre ! »
Le câlin dure et dure encore, en levant un bras, papa Lait caresse la tête posée sur sa tête.
« Tu ressembles tant à Croquinette ! Mais tu es blanc comme moi. Je suis tellement content de te rencontrer Tiroc, mon enfant. »
Et le câlin continue de durer.
Je me tourne vers Chancielle :
« Ils vont s’arrêter hein ? Vous ne les avez pas collés ? C’est pas vous la sorcière qui avait levé un sortilège pour que monsieur Lait tombe amoureux de madame Croque ? Hou ! Elle me regarde sévèrement !
― C’est odieux de me traiter de sorcière, je suis une guérisseuse bienveillante, non ce n’est pas moi, c’est une ogresse susceptible et très solitaire, elle n’a jamais eut de compagnon, trop mauvais caractère et madame Croque a commis l’imprudence lui dire que si elle était seule c’est à cause cela...
― Y sont où les ogres, madame Chancielle ?
― Ils cherchaient un monde à vivre et ils l’ont trouvé. Il devaient partir il ne pouvait plus rester invisible aux yeux des Hommes et cela aurait déclenché une guerre. Les ogres ne le voulaient pas : ils sont pacifiques… sauf cette sorcière acariâtre ! Mais elle est indispensable à la Tribu c’est elle qui a ouvert le passage… Mais c’est elle aussi qui a laissé ici ce pauvre Tiroc !
― Tiroc dit que c’est sa maman. Elle lui aurait demandé de trouver papa Lait et qu’elle reviendrait le chercher…
― Comment tu t’appelles ?
― Fleur…
― Hé bien, Fleur, je pense qu’elle n’a pas voulu lui faire de peine, mais c’est la Tribu qui décide et la sorcière aussi…
― Tu peux pas chercher maman Croque ? Tu sais pas ouvrir le passage ?
― J’ai appelé Croque, je crois qu’elle m’a entendu, mais il va falloir qu’elle convainc la Tribu … Et ça ne va pas êt… »
Elle ne finit pas sa phrase parce que derrière Tiroc et son papa, le paysage devient flou et un bras bleu sort du vide, puis une jambe velue et le corps suit. Enfin une bouille bleue, comme le reste du corps s’extrait du paysage flou et apparaît. C’est madame Croque, identique à la photo du médaillon…
Le troisième œil de Chancielle rebascule en arrière et c’est toujours aussi beurk ! Elle fixe madame Croque. Cela dure quelques secondes, et madame Croque me dévisage :
« Merci Fleur, merci Léonard, aider Tiroc, aider papa Lait. »
Des larmes montent à ses yeux elle se précipite vers son homme et son fils et le câlin devient un animal à trois têtes, bleu et blanc… Et ça pleure tellement, dans ce cercle d’amour que je pleure aussi.
Mais encore, le paysage devient flou, et comme une vague, il s’approche de la famille enlacée… Tiroc a juste le temps de nous faire un geste pour nous saluer et lancer le médaillon. Nous l’entendons dire doucement : « Merci toujours Léo, merci toujours Fleur... »
Comme mon frère et moi avons la bouche ouverte et que la devineresse sait que nous n’avons pas tout compris elle fait rouler son œil à l’intérieur de sa tête - j’aimerais vraiment qu’elle arrête de faire ça…-.
Mais tout à coup je l’entends dans mon esprit, elle me parle de l’intérieur. Dans ma tête sa voix est celle d’une jeune femme :
« Lorsque qu’un Homme fait un bébé avec une ogresse, l’Homme attrape une sorte de langueur, ça veut dire qu’il s’endort doucement, chaque jour un peu plus, jusqu’à ce que naisse le petit. Il faut alors donner une décoction de digitaline et d’adrénal… pardon ça ne vous intéresse pas, bref je l’ai soigné. Croque a réussi à convaincre la Tribu, sa famille l’a soutenue, Croque leur a dit à tous que si elle avait eu un bébé avec cet homme c’est à cause de la sorcière et que c’est elle qui aurait dû être punie ! La maman a dit à son peuple qu’elle souffrait beaucoup de l’absence de Tiroc et que si elle aimait si fort l’homme blanc c’est parce que la potion de la sorcière est puissante, précisément parce que la sorcière est puissante. La Tribu s’est attendrie, ils aiment la paix et l’amour, il ne veulent pas que madame Croque souffre davantage. Et comme Croquinette a eu l’intelligence de dire que la sorcière est puissante, celle-ci lui a pardonné. »
Je demande alors:
« Ils sont partis où ? »
Le troisième œil revient à sa place plus normale et elle répond :
« Ils sont tous les trois dans le nouveau monde des ogres. Bon, il suffit, vous êtes des demi-Hommes presque sympathiques, mais je dois aller gronder un certain renard qui néglige ses devoirs envers moi. »
Sous mes yeux et les yeux de mon frère, elle tend les mains vers nos têtes je sens qu’elle m’arrache un cheveu, elle tape du pied sur le sol et disparaît. En même temps l’écorce du séquoia repousse pour fermer l’entrée de la grotte.
Mon frère frotte son crâne en fronçant les sourcils :
« Elle m’a arraché un cheveu !
― Oui à moi aussi ! »
Sur l’herbe devant moi il y a le médaillon de Tiroc que je ramasse. Je suis à la fois triste et gaie. Et devant l’entrée désormais fermée du Séquoia, Léonard remarque une bouteille remplie d’un liquide doré, sur laquelle on peut lire :
« Merci, merci petits Hommes -on dit Enfants je crois, j’entends presque ça voix, ceci est une potion de soin, elle fait disparaître tous les maux qui ne sont pas issue de la magie, mais vous ne pourrez l’utiliser que pour vous-même… Pardon, j’avais besoin de l’un de vos cheveux pour la concocter. En cas de maladie vous ne devez en avaler que la valeur contenue dans une demi coquille de noix. Nous ne nous reverrons plus je vous souhaite une belle et longue vie.
Je ne saurais jamais combien mesure un ogre, un vrai grand ogre, mais j’ai presque cent ans, mon frère lui, a cent trois ans. J’ai gardé le médaillon de Tiroc. Je le porte à mon cou et j’ai raconté cette histoire à mes enfants et mes petits-enfants, à mes arrières-petits-enfants.
Ils ne me croient pas bien sûr, ils pensent que c’est un joli conte…
Hi ! Hi ! Hi ! J’imagine leurs têtes, quand j’aurais rejoins le ciel, ce jour où ils verront enfin dans le médaillon ce que j’ai toujours refusé de leur montrer.
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