Petit sortilege sans pretention

Petit sortilege sans pretention

La vieille dame dés 5 ans

 

 

« Pousse-toi !

- Pousse-toi, toi !

- J’ai faim…

- J’ai faim aussi !

 

Le gang des moineaux s’est posé sur le balcon et se dispute les nombreuses graines, dans la vaste mangeoire.

La grand-mère, assise dans sa cuisine derrière la vitre, les regarde sauteler et s’amuse de les voir rebondir.

Comme il fait froid, ils ont gonflé leur duvet ce qui les fait ressembler à des petites balles à plumes. Ils piaillent bruyamment pour le grand plaisir de la vieille dame, dans son fauteuil.

 

Et puis soudain, comme si on les appelait ailleurs, ils s’envolent en même temps.

Alors une mésange timide se risque à la mangeoire, puis un rouge-gorge qui attendait son heure.

 

Le spectacle est terminé. La grand-mère soupire : elle sait à quoi elle va pouvoir occuper sa journée. C’est mieux que de n’avoir rien à faire. Elle est très seule cette grand-mère, presque personne ne vient la voir. Elle n’a pas d’enfant, pas de petits-enfants et ses rares amies sont comme elle, vieilles et ne viennent pas souvent. Heureusement qu’il y a le téléphone et internet, mais quand même, ce n’est pas pareil qu’une vraie visite, que de vraies marques d’affection et de vraies personnes à serrer contre son cœur !

 

La veille, Germaine a débarrassé une pièce du bazar accumulé depuis longtemps ; il y avait au moins vingt cartons.

Elle les a vidés pour savoir ce qu’ils contenaient.

De la vaisselle, pour les uns -mais elle vit seule maintenant, elle n’en a plus besoin- ; des livres dans d’autres, notamment une belle encyclopédie racontant les animaux d’ailleurs.

Et puis quelques romans, des recueils de contes et une tonne de choses qu’elle avait oubliées… Jusqu’à sa peluche d’enfance, une ourse usée et sans poil qu’elle appelait Coralie et qui désormais est silencieuse : dans l’enfance de Germaine, elle faisait le bruit d’une boîte à meuh.

 

Germaine a tout déposé devant chez elle directement dans les cartons ouverts avec une pancarte sur laquelle elle a écrit : « Servez-vous ».

Elle n’a gardé que les livres de contes qu’elle aime beaucoup et Coralie.

 

Elle aurait pu rester à la fenêtre et comme pour les moineaux, regarder les gens s’arrêter devant les cartons. Mais elle sait que c’est un peu gênant pour certaines personnes de fouiller et de prendre des choses, même lorsque ces choses sont offertes.

Et puis même si elle donne tout ça de bon cœur, elle est un peu triste. : dans ses affaires sont cachés des souvenirs.

« Allez, Courage Germaine, il reste un dernier carton ! »

 

Et Germaine se lève en grimaçant : son dos lui fait un peu mal, à cause du travail de la veille.

En passant devant la fenêtre, d’où elle peut voir les cartons, elle constate que la vaisselle n’est plus là et que quelques livres sont sur le trottoir. Si dans deux ou trois jours il reste quelque chose, elle fera venir Emmaüs.

 

Elle reprend son chemin.

Le débarras est bien vide maintenant, une chaise, un tabouret, une petite table et ce très gros carton tout au fond de la pièce . Sur Ce carton, Coralie est allongée.

« Tiens ! se dit Germaine, c’est bizarre je suis sûre d’avoir laissé mon ourse sur la chaise ! Bon quand on vieillit la mémoire a des trous, ça ne fait rien : bonjour Coralie, tu permets que je te pose sur la chaise… »

 

Lorsque la vieille dame ouvre le carton, elle y découvre un autre un peu plus petit et calé avec du papier bulle.

« Ha ça ! Dit Germaine en riant, ce n’est pas habituel de ranger un carton dans un autre ! »

 

Elle ouvre donc le second carton et trouve dans celui-ci un autre encore, plus petit.

« Combien y en a-t-il ? Se demande Germaine intriguée.»

 

Comme des poupées gigognes dans le troisième se trouve un quatrième, puis un cinquième tous calés par le plastique à bulles.

Et dans le cinquième enfin, un objet. Un coffret de bois que Germaine s’empresse d’ouvrir.

Dedans, elle trouve une belle boule de verre, plus grosse qu’une balle de tennis. Il y a peut-être du plomb dans ce verre car le globe est irisé ; ce qui fait que cette jolie sphère, en fait, est probablement une boule en cristal. Germaine sourit : elle aime beaucoup le cristal.

La vieille dame lève l’objet vers la lumière et contemple son cœur. Il y a une fée sculptée à l’intérieur.

Germaine sait que, si elle place le cristal au soleil, il transformera la lumière en un arc-en-ciel.

 

Elle sourit de plaisir : quel bel objet !

Elle ignore ce qu’il fait là, elle ne l’a jamais vu. Peut-être est-ce Jeannot qui l’a rangé dans ces cartons.

D’ailleurs elle comprend pourquoi tous ces emballages étaient nécessaires.

Jeannot était son mari mais il est mort depuis longtemps, elle ne pourra plus lui demander.

 

Elle est si jolie cette petite fée à l’intérieur, les ailes ouvertes, elle est gracieuse, souriante, assise sur une branche d’arbre. Ses jambes croisées semblent pendiller. Et elle regarde devant elle : Germaine à l’impression que c’est elle que la fée regarde.

Pas de carton à vider et un cadeau mystérieux !

Joyeuse comme une petite fille le jour de Noël, elle sort du débarras, sa belle boule dans la main et son ourse sous le bras.

 

Elle va s’asseoir dans son fauteuil de spectacle, d’où elle regarde les oiseaux et pose Coralie sur sa cuisse. Elle ressort la boule de son coffret, la contemple en détail : elle est magnifique !

Puis elle s’intéresse à la boîte, elle aussi est très belle, en bois de rose.

Sur les parois, sculptées, il y a des volutes et des sortes de mots comme une écriture ancienne sur un parchemin enluminé. Elle peine à lire mais il lui semble comprendre :

« Une promesse, une seule sera donnée, un vœu un seul de fait sera exaucé. »

 

Une promesse, quel genre de promesse pourrait faire une vieille dame, une promesse de quoi ? Pour un vœu, certainement c’est aisé… Mais une promesse...

Quand on est enfant c’est facile, on promet d’être sage, de ne pas dire de mensonge, d’être poli, agréable…

Mais qu’est-ce qu’une vieille dame pourrait bien promettre ?

 

Dans son esprit elle observe à ce qu’elle fait chaque jour et si quelque chose manque… C’est sûr qu’elle ne fait pas de mal, mais il faut bien reconnaître qu’elle ne fait pas tellement de bien, à rester chez elle Et elle a l’impression que le message parle de faire du bien, quelque chose de bien…

Elle réfléchit longtemps. Et même s’endort dans son fauteuil…

Soudain elle se réveille en sursaut : elle sait quoi faire de bien !

 

Dans son village, il y a des gens tristes qui travaillent beaucoup, des gens comme elle, seuls, des enfants qui s’ennuient, des grognons, des bougons malheureux…

Germaine pose le coffret précieux sur son buffet de cuisine.

Elle a trouvé quelque chose à faire qui lui fera du bien et même, peut-être, qui fera du bien à d’autres.

Elle a décidé de copier quelques histoires de ses livres de contes et de les poster ou de les déposer dans les boîtes aux lettres des habitants de son village.

 

Dans ces livres, il y a des rêves, de l’amour et du temps à partager.

Quelques histoires, comme des surprises, comme un sourire, comme un peu d’affection.

Ce n’est pas aussi agréable que de serrer quelqu’un dans ses bras, sans doute, mais ce qui fait du bien, ce qui est tendre et gratuit, c’est toujours important.

 

Alors immédiatement, elle cherche dans ses livres et trouve des histoires à conter :

« La fée du robinet », « Le merveilleux voyage de Nils Hollgersson », « La petite Poucette, « L’écureuil en couleur », « Le ramoneur », « Blanche-Rose et Rose-Rouge », « Patachou », « Le conte chaud et doux des Chaudoudoux », « Cendrillon », « Mamicha rapetisse », « Les contes du chat perché »... 

 

La nuit tombe, les personnages des contes se bousculent dans sa tête, Germaine se couche ce soir-là avec beaucoup de joie et d’envie dans le cœur.

Elle a déposé Coralie sur sa table de nuit.

Elle a hâte que la journée de demain commence : elle a tant à faire.

 

« Une promesse, une seule sera donnée, un vœu un seul de fait sera exaucé. »

 

Le soleil rentre par la fenêtre et caresse la joue de la vieille dame, elle se réveille et sourit, elle a du travail aujourd’hui, un travail plus intéressant que de vider des cartons.

Elle s’assoie sur son lit, et regarde son ourse. Puis la scrute avec attention, ce qu’elle voit lui fait un peu peur, son ourse a les yeux fermés.

Elle l’attrape en tremblant un peu : oui ! Ses yeux sont fermés ! Et maintenant ils s’ouvrent !

Le regard de son ourse est très doux :

« Bonjour Germaine. Allons, n’aie pas peur, respire, ce n’est rien, rien qu’un cadeau de fée, un vœu contre une promesse... »

 

Au moment où Coralie prend vie, Germaine sursaute au bruit d’une explosion. Cela vient de la cuisine.

Avec son ourse, qu’elle n’ose pas lâcher et qu’elle tient à bout de bras, Germaine cherche l’origine du bruit…
Le coffret de bois rose est au sol son couvercle ouvert. À l’intérieur, la sphère de cristal est ouverte en deux.

Germaine imagine que c’est ainsi que «… un vœu un seul de fait sera exaucé ».

 

Tout cela est incroyable, il faut quelques heures à Germaine pour se remettre du choc et s’habituer à la situation mais dans le secret de son cœur, il y avait bien un vœu caché auquel le cristal a répondu : la vieille dame voulait ne plus être seule.

Et Coralie est redevenue sa précieuse amie.

 

Quand on a quelque chose d’important et d’agréable à faire, quand on a quelqu’un avec qui le partager, vieillir n’est pas si pénible n’est-ce pas ?

Et toutes ces personnes, dont on dit qu’elles parlent seules, est-on vraiment sûre qu’elles n’ont pas reçu un cadeau de fée ?

 

 

 

 

 

 



22/11/2020
4 Poster un commentaire

A découvrir aussi


Inscrivez-vous au blog

Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour

Rejoignez les 57 autres membres