Le champ de pierres
C'est sa terre, il en a hérité.
C'est sa terre, mais elle ne vaut rien. C'est un champ de pierres.
À sa lisière s'écoule un ruisseau un peu gros, dont les berges son plus riches mais lointaines.
Au village, on regarde le nouveau venu avec condescendance. Parce qu'on sait qu'il n'a rien, on sait qu'il essayera quand même : à coups de pioche et de pelle que lui a données la Nénaine.
Sur son petit lopin de terre, il a planté sa tente. Ça ou passer l'hiver sous un pont, il est mieux ici. La vie lui a donné l'envie de frapper, de cogner, de se faire mal. Mais ce qu'il commence dans la violence se transforme en détermination.
Il n'a qu'un lopin de terre dur et pointu qui ne sert à rien mais ils vont vivre ensemble.
La condescendance et la pitié souvent vont de paire, alors il n'y aura personne pour l'aider mais il trouvera de quoi manger et s'habiller. Tout l'hiver. Et la Nénaine qui est bien bonne, le laissera se chauffer, se laver elle et le nourrira souvent. Mais il dort sous sa tente et travaille comme un forcené. Il arrache à sa terre, des cailloux par millier, des pierres et des petits rochers. Il les entasse un peu plus loin. Tout l'hiver et le printemps, il s'acharne. Quelques patates et des cultures pauvres pour remercier Nénaine à la fin de l'été… Sa terre donne peu de choses. Elle continue à vomir des pierres, comme s'il sortait d'elle la maltraitance des hommes.
Les saisons reprennent. Et un homme travaille seul. Qu'importe le temps, son corps se durcit, se muscle. Il est en meilleure santé, il le sent, et l'hiver est moins rude. Il a rangé sa tante dans la grange à Nénaine. Il l'aide aussi, s'occupe de l'entretien de la maison, de quelques corvées.
La Nénaine l'aime bien. Elle dit aux autres, aux langues amers, qui lui recommandent de faire attention :
« Z'êtes des mauvais, jamais y'en a un qu'est venu m'aider. Lui, il demande rien qu'un peu de chaleur et d'eau. C'est un taiseux bien plus poli que vous mes bavards. »
Le village espère une catastrophe qui lui donnerait raison. Mais l'homme des pierres travaille sa terre, et la Nénaine désormais l'accompagne.
Le monticule de cailloux est une montagne à présent, il faut bien penser à l'organiser : d’abord creuser une tranchée, et puis monter un mur, qui servira d’abri ou de clôture.
La Nénaine connaît le torchis avec la terre en bas qui est bien glaise, un peu de paille et de la chaux, le mur va tenir droit. L'automne et l'hiver se passent à ramasser des pierres et laisser des murs grimper presque tout seul.
Lorsque le printemps se montrent à nouveau, les villageois un peu honteux, comme des gosses qui reconnaissent leur bêtise, se rendent à l'évidence : il ne renoncera pas. Et tout à coup, le petit lopin de pierres accueillent des volontés nouvelles.
À forcer, creuser, retourner, on finit par trouver de la terre. Les cailloux cessent enfin de s'amonceler. Et du sol est sorti, une maison de pierres, consolidée au torchis.
Il faut peu de choses pour faire un toit. Et chacun s'y donne à cœur joie. Une terre vierge et frémissante de promesses au pied de la nouvelle maison accueille enfin des semences. Un homme peut faire la paix avec sa vie. Un homme a fait d'un rien quelque chose de bien.
Nénaine, s'il te plaît, embrasse-le pour moi.
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