Petit sortilege sans pretention

Petit sortilege sans pretention

Le fils de l'Océan 2

 

 

Oulouhou raccompagne la femme-soin chez elle. Il préférerait ne pas la quitter et la prie pour rester un peu. Il ne sait pas trop ce qu'il peut demander ou ce qu'il peut attendre d'elle. L'amour platonique de Sulifine, fait de tendresse et de feu, brouille ses perceptions. Elle le traite comme un fils, mais parfois il sent sur lui son regard intense et lorsqu'il la regarde, il devine autre chose dissimulé sous cet amour chaste. Il faudra bien qu'un jour, il lui parle.
Ce soir, elle sourit doucement et lui rappelle que demain et un jour spécial pour le village. Qu'il partira avec les hommes jusqu'au petit large, les heures seront longues pour eux deux.

Elle dépose un baiser sur sa joue et disparaît derrière sa porte.

 

Rêveur Oulouhou rejoint le bord de mer, c'est là qu'il a construit son abri, il n'aime pas s'éloigner de l'Océan auquel il parle tous les jours. Il s'allonge sur le sable et s'endort rapidement.

Quelqu'un le surveille au loin. Ils sont quatre ombres silencieuses à se déplacer autour des habitations à repérer les lieux, l'un deux veille à ce que l'Ondin reste sur la plage…

 

Le plus grand du groupe rebrousse chemin et se dirige vers l'habitation de la femme-soin. Elle dort bien sûr et sa porte est ouverte ; que pourrait-elle donc craindre ? Trois silhouettes humaines entrent subrepticement, l'immobilisent et la capturent.
Sous le porche de sa maison, sur un filet tendu faisant office de chaise, un quatrième homme s'assoie. Il attend l'Ondin qui, paraît-il, déjeune tous les matins avec elle.

 

Au jour naissant, Oulouhou s'en va rejoindre Sulifine pour partager tendresses et collation avec elle.

D'assez loin, il remarque un homme qui semble attendre assis devant l'entrée. Il ne le reconnaît pas. Il presse le pas, peut-être y a-t-il un problème ?

L'homme s'adresse à lui, dès qu'il est à portée de voix :

« -Elle n'est pas là !

-Qui es-tu ? Où est-elle ?

-Peu t'importe qui je suis, je suis la personne qui doit te parler de notre arrangement.

-Nous avons un arrangement ?

-À toi de voir. La femme-soin est retenue dans une cache que tu ne saurais trouver. Nous sommes prêts à la restituer à votre village et à sa fonction, dès lors que toi, tu nous auras ramené un trésor pour compenser l'injustice dont nous avons été victime.

-Injustice ?

-Depuis cinq ans, à Choyouta, les habitants profitent des largesses de l'océan, pendant que nous, qui sommes leurs frères, nous peinons à vivre. Il ne faut plus que cela soit !

-Tu ne dis pas la vérité, la méchanceté déforme ton visage. Tu es un prédateur et peu t'importe la justice. Tu veux davantage que les autres. Même ta famille n'a pas grâce à tes yeux. Je connais les hommes comme toi. Les largesses de Choyouta sont celles de mon Père, je n'ai aucun pouvoir qu'il ne me donne. Je rêve les cadeaux qu'il fait au rivage. Sans lui, je ne peux rien. Alors je ne vois pas comment je pourrais vous procurer ce que vous voulez. Ce que vous faites est mal. Vous vous conduisez comme des démons. Mais je t'avertis, Sulifine compte pour moi, alors elle compte pour le Père de toutes choses. Je crains pour ta vie…

-Crains plutôt pour la vie de la femme-soin… Demain à cette même heure je viendrai chercher la Pierre Bleue, celle qui promet une immense richesse. Elle est enterrée dans la sable de l'Océan. Il te la donne, ou nous tuons celle qui compte pour toi. Si je reviens sans la pierre demain, ce qui se passera sera sa faute et la tienne. »

 

Là-dessus l'homme froid s'en va en courant, d'un pas sûr.

 

L'Ondin est abasourdi, puis très en colère. Il s'élance au cœur du village et émet un cri d'alerte long et tonitruant. Les Hommes accourent, les singes approchent, deux pélicans volent en cercles au-dessus d'eux. Pas très loin, dans la végétation bruissante, on devine la présence foisonnante de beaucoup d'animaux.

L'Ondin paraît pour la première fois, dans la pleine possession de ses pouvoirs. Il commande à la faune et sait s'en faire aimer, s'il le désire. Les Hommes un peu inquiets, obéissent à son injonction silencieuse et s'assoient sur le sol sans quitter les primates des yeux.

Oulouhou s'adresse d'abord à eux, visible à la limite des habitations et aux autres dissimulés dans les feuillages. Il articule dans plusieurs langages les cris familiers de bêtes vivants non loin du village. Lorsqu'il termine, tous les animaux s'en vont, excepté le couple de pélicans qui se pose tout près.

Oulouhou regarde les gens assis devant lui, ses traits se sont durcis et son regard est sombre :

« -Quelques hommes du village voisin ont enlevé Sulifine ! »

 

Les habitants de Choyouta se regardent stupéfaits, c'est incroyable un tel acte, digne des guerres d'autrefois ! La population demande plus d'explications.

L'Ondin raconte tout ce que l'homme froid lui a dit au matin et conclue :

«-Je ne peux pas contraindre Père à donner quoique ce soit à qui ce soit. Quand il donne, c'est un présent qu'il vous fait. Je ne peux rien décider au sujet de ce qui lui appartient. Je viens d'envoyer ma famille primaire dans toutes les directions, au-delà même des terres intérieures. Il faut qu'elle trouve Sulifine avant demain pour que je puisse, le cas échéant la délivrer avec votre aide, si je ne puis trouver la Pierre Bleue. Quelqu'un peut-il m'en parler ? Je ne sais pas ce que c'est... »

 

Une voix chevrotante répond :

«-Elle est la volonté du Père : qui parle en l'enserrant dans son poing possède son pouvoir de contrainte. Elle est la puissance de l'Océan : celui qui la détient possède une force unique au monde. Elle est la source de vie : celui qui la garde, garde le temps dans son temps. Elle est à l'origine de bien des convoitises et de nombreuses guerres. Il y a cinq générations, le chef de ce village qui voulait que la paix soit durable l'a rendue à l'Océan. Puis il a inventé une légende autour de la pierre, pour la rendre moins désirable. Les Hommes d'aujourd'hui ne la connaissent plus, il n'y a plus que moi, l'Ancien-ancien, celui qui sait. Demande à Ronquin ce qu'on dit d'elle aujourd'hui. »

 

Ronquin ne se fait pas prier :

« Bleue comme l'eau des lagons, éblouissante comme un éclat de lumière, elle repose dans l'océan, attendant d'être retrouvée. La pierre, la plus belle que les Hommes aient contemplée, donnera une immense richesse à celui qui l'aura débusquée. »

 

Ronquin se tait. Le silence dure quelques minutes. Oulouhou termine leur réunion sur ces mots :

«-Je dois dormir, si Père veut me parler. »

 

Animé d'inquiétude, et toujours de colère l'Ondin rejoint la plage et s'allonge. Il s'applique à respirer lentement pour appeler le sommeil. Il rêve.

L'Océan se manifeste toujours à lui de la même manière, l'image mouvante comme un reflet, d'un homme dans la force de l'âge. Ces traits sont distincts par intermittence, leur expression aujourd'hui est dure. Il acquiesce en silence à la supplique de Oulouhou. Le Père lui montre un morceau du littoral, dans une crique non loin de là. Une tortue y nage et s'enfonce dans l'eau jusqu'au fond, ses nageoires effleurent un corail à la forme étrange, qui semble palpiter de lumière bleue.

En définitif, Père Océan a décidé qu'il doit se mêler des affaires de hommes..

 

La tortue repasse devant le corail et le léger sommeil d'Oulouhou se termine.

Le jeune homme a parfaitement reconnu l'endroit. Le corail est planté assez profondément, accessible pour lui, mais probablement pas pour un autre. Il n'a pas de temps à perdre.

 

Voici que le matin se termine. Oulouhou a ramené la Pierre Bleue au village mais l'a sagement cachée. Elle a un grand pouvoir d'attraction et elle est très belle. Pure, comme liquide, c'est une Aigue-Marine de la taille d'un poing ciselé par un talent aujourd'hui oublié.
Elle émet une vibration continue basse et douce, plus facile à ressentir au toucher qu'à l'audition. Avec elle dans la main, Oulouhou se sent très fort. Sa pensée est fluide, elle imprègne chacun de ses mots d'une conviction et d'une évidence incontournable : le talent de la contrainte. Il sent la force circuler dans son corps, dans ses veines, elle est grisante.

Il n'a aucune raison de douter de son troisième pouvoir, mais concrètement l'éternité ne le tente pas !

 

Assis en bordure du village, régulièrement approché par l'un ou l'autre groupe d'animaux. Oulouhou ressert, en vain, les rets de ses troupes. Il semble que les hommes froids soient plus malins que prévu. Le temps passe et seuls quelques groupes n'ont pas encore délivré leur rapport.
Le pélican, qui a pris soin du jeune homme durant son enfance, est debout à côté de lui comme un général qui attend les ordres. Lors, que la nervosité de Oulouhou augmente, le pélican le pousse soudain avec sa tête et quémande un peu d'attention. Puis soudain il décolle, laissant sa femelle au village.

 

Le grand oiseau soupçonne que les bêtes de l'île ont oublié un lieu, parce qu'il a longtemps été défendu par un homme irascible. Il tuait sans discernement toutes les créatures qui s'approchaient de sa grotte, laquelle était en soit, déjà, une excellente cachette. Certes pas pour les oiseaux, ou quelques prédateurs têtus, mais ceux-là finissaient en ragoût. Peu de créatures aujourd'hui en connaissent encore l'existence, tous évitaient cet endroit.

Mais depuis l'homme est mort, le pélican le sait car il en a goûté un morceau : juste retour des choses… Mais décidément rien ne vaut le poisson. Le volatile a pris l'habitude de se rendre sur ce rocher dissimulant la grotte et surplombant l'océan.
Comme un prince, il y regardait les couchers de soleil.

Son intuition est bonne. Deux hommes sont devant la cabane délabrée. Ils scrutent l'horizon et semblent détendus : on ne peut pas les surprendre.

Le pélican fait demi-tour.

 

Oulouhou entend rapidement ce que « sa nourrice » lui raconte. Il feule de colère. Et sans se préoccuper d'être ou non suivi, il se lance à la suite du couple d'oiseaux qui vient de s'envoler.

Quelques hommes qui le surveillaient du coin de l’œil, lui emboîtent le pas : il n'y a pas que pour lui que Sulifine est importante…

 

Le rocher, à vol d'oiseau est à une marque de gnomon, ce qui en représente cinq pour les hommes. L'après-midi touche à sa fin lorsqu'ils arrivent. À la limite de l'escarpement rocheux, le pélican se pose au pied du jeune homme et fléchit les pattes. Son bipède s'accroupit à son tour et invite ses compagnons à faire la même chose. L'oiseau repart jusqu'au-dessus de la cabane où il tourne en cercle. Oulouhou voit clairement la menace. Il faut attendre la nuit et ronger son frein.

 

Quatre silhouettes empruntent une pente abrupte pour rejoindre le rocher. Ils s'appliquent au silence, leurs positions les laissent très exposés. Alors qu'ils touchent au but, une pierre se détache de la paroi et roule bruyamment. Un des hommes froids s'approche en surplomb et donne l'alerte. Ses trois compagnons le rejoignent et jettent du bois et des pierres aux assaillants. D'une main maladroite, Oulouhou saisit la pierre qu'il avait mise dans une poche à sa ceinture. Dans la nuit, la pierre luit éclairée par sa propre lumière. Un des hommes sur la corniche ordonne à ses complices de cesser le harcèlement et, s'adressant à l'Ondin, il lui enjoint de jeter la Pierre Bleue.

«-C'est impossible sans risquer de la perdre. Et je veux m'assurer que Sulifine va bien ! 

-Ho ! Et tu veux donc monter ? Quel courage. Dis aux autres imbéciles de faire demi-tour et monte ! »

 

Oulouhou finit l'ascension, ses compagnons redescendent. Il a remis la pierre dans sa poche et se redresse aussitôt encerclé par les hommes froids. Le plus imposant commande :

«-La pierre ! Donne !

-Sulifine d'abord !

-Tu ne manques pas de toupet, qu'est-ce que tu peux bien faire pour me... »

 

Le railleur se tait, l'Ondin a saisi la Pierre et la tient au-dessus de la pente escarpée.

«-Sulifine ! 

 

S'adressant à un homme sur sa gauche, le chef lui ordonne de chercher la femme-soin.

La Pierre Bleue dans la main de Oulouhou soudain se met à vibrer plus fort. Et quand le second couteau sort de la cabane délabrée, avec la captive, l'Ondin dit :

« Elle part, quand elle sera arrivée en bas, je donnerai la pierre. »

 

Sans discuter, parce que la demande semble logique, les quatre hommes froids laissent Sulifine partir. Le jeune homme creuse son avantage :

« Rentrons, je dois vous parler de la pierre. »

 

Sans poser de question, comme privé de volonté, les hommes entrent dans la cabane les premiers. Oulouhou place la pierre dans sa ceinture contre sa peau et, ses deux mains posées de part et d'autre de la porte, il pousse de toutes ses forces. Relayées par la magie de la Pierre, la puissance de l'Ondin fait trembler et s'effondrer la cabane.
Les yeux hagards des quatre hommes froids recouvrent leur clarté ; il est trop tard.

Sont-ils morts ou blessés ? Sans attendre pour le savoir, Oulouhou tourne les talons. Dénué de remords, un sentiment qu'il ne connaît pas puisqu'il agit toujours en accord avec sa volonté, l'Ondin est simplement heureux de pouvoir rejoindre la femme-soin au pied de l'escarpement. Elle l'attend avec les autres compagnons.

« -J'ai eu très peur pour toi… T'ont-ils fait du mal ?

-Non je n'ai rien. »

 

Oulouhou gronde en direction de son ami ailé et le rejoint quand il se pose. Il glisse la Pierre bleue dans la poche de son bec et caresse son cou avec reconnaissance. Il lui demande par quelques grognements de rendre la Pierre au Père de toutes choses.

 

Le retour au village est silencieux, la femme-soin s'appuie sur le bras de son sauveur. Les compagnons sont vigilants, ils se méfient des prédateurs.
Oulouhou réfléchit à ce qu'il va dire à Sulifine. Il connaît désormais la nature de son attachement pour cette femme merveilleuse. Il va vraiment falloir qu'il lui parle...

 

Quand l'Ondin se déclare, Sulifine résiste un peu, pour la forme.
Elle lui parle de son engagement de femme-soin, s'effarouche de l'écart qu'il y a entre leurs deux âges et de ses incertitudes quant à la légitimité de son affection…

Oulouhou, qui agit toujours en accord avec sa volonté, la saisit par la taille et l'embrasse avec fougue.
Les Ondins ont toutes sortes de chances et de talents… Fusiline s'est tue enfin et se rend à ses arguments.

Je me demande à quoi ressembleront leurs enfants ?

 

 

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05/05/2016
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