Petit sortilege sans pretention

Petit sortilege sans pretention

Femme vaisseau

 

 

 

Comme si tu fermais les yeux…

 

Derrière la masse de tes yeux, la nuit est ton corps, limitée par son enveloppe.
La vie palpite partout.

La pression dans tes oreilles pulse, au gré des battements de ton cœur.

Quelque chose est différent, une intuition, ou moins que ça ?

Suivant ta respiration, ta poitrine s'écarte de ton dos depuis tes épaules, se lève et se pose, autour des volumes de ta chair. Se lève et se pose…

Non, la différence ce n'est pas ça !

 

Une gène, une lourdeur sur la vessie… Tu rentres les abdominaux, tu arrondis le dos : ça tire sur le bas de ton ventre…

Voilà, la différence est là tu ne peux plus le rentrer, tout en bas. Là juste au-dessus de la vessie, un poids.

Ta vue, une vue intérieure relayée, des sensations corporelles, une vue imaginaire descend le long de tes viscères. Il y a tout au fond de toi, une chose extraordinaire. Un petit rien qui se loge, se tapisse et attend.

Les femmes mères, ont déjà pris un train qui ressemble à celui-là, les hommes, que ça interroge, je vous emmène en voyage.

 

Un petit volume, dont on prétend qu'on ne peut pas le sentir, tend la peau d'un nid plus ou moins volontaire. Il creuse devant et en arrière, un plein, un vide, qui d'habitude se ressent autrement.

Tu écoutes attentivement ce qui change.

Et pour l'instant c'est surtout ton regard : il reste à l'intérieur, sensible.

 

Tandis que la terre continue à tourner rond, tu n'y es plus tout à fait, tu es dans le monde de ta chair, dans la pulsation de ton cœur, dans la vibration ténue de ton ventre.

Tu étudies tes gestes quand tu bouges, pour comprendre comment ils changent, comment évolue ton confort. Et puis la fleur éclot et le ventre n'a plus le choix : il se dilate et s'alourdit.

 

La vitesse de tes bras, de tes jambes prennent de l'avance sur ton ventre, comme s'il suivait à contre-temps, d'à peine une seconde, il monte encore quand tu redescends.

 

La peau est une cuirasse, tendue comme celle d'un tambour ; elle est la contention de la poche d'eau ; l'océan d'amour, où baignent tes projections.
Ton regard se désintéresse du monde. Tu te noies dans l'abondance de tes hormones.

Tout te blesse, tout te met en joie, d'une seconde à l'autre tu es un titan, puis le rien de l'univers. Il faut t'empêcher de t'envoler, puis te tenir pour ne pas que tu te répandes sur le sol.

Tu pleures… Mais pourquoi tu pleures ? Je ne sais pas…

Tu ris… Tu cries… Tu vis plus fort dans un désordre où tu te reconnais mais qui n'est plus toi.

 

Et ton ventre devient lourd d'une eau de ciment, tendu : il ne t'appartient plus.

Chaque main féminine que tu croises le caresse, même si tu connais peu cette main. Toutes presque cherchent à entrer en contact avec ton précieux locataire, toutes se souviennent…

 

de ces chocs contre ton ventre, de ces mouvements qui le rendent étranger à toi-même. Et toujours ton regard intérieur, attentif :
« Tu vas bien ? Tu es là ? Bouge bébé… Ouf ! »

il appuie sur la paroi, des mains, des pieds, parfois tu le voies comme une peinture primitive, une sculpture temporaire sur ta peau, avec une pression qui n'existe que là… Il te parle avec son corps qui n'est plus toi…

 

Lourd est ce ventre. Les émotions s'apaisent. Pipi, vite pipi !!!

Manger avec plaisir, enfin loin des combats entre les besoins et les envies, loin des obligations culturelles, des rituels, ou des problèmes de santé, manger pour lui, sans culpabilité.

 

Pipiiiii!

 

Regarde ton corps devenu trop petit et dont le ventre pourtant si beau dedans est si pénible dehors…

Où sont tes pieds ?
Travailler devant toi, à bout de bras, ou sur ton ventre comme la table d'un moine obèse…

C'est plus aussi sympa ce bébé dedans, là…

 

Pipiiiiiiiii

 

Putain ! Ce que ça fait mal !!!!!!!!!

Des coliques………. On dirait des putains de coliques, des coliques généralisées à tout l'intestin, et une fracture au coccyx …

 

Poussez madame……

Et tes os se dilatent, ça commence….

Poussez madame……

À t'en faire éclater les tympans, douleur !

À t'en vider les boyaux, hurlement !

Poussez madame……

À t'en écraser le cerveaux, je veux mourir ! Douleurs !

Arrêtez de pousser….

Découpage des chairs, tranchées dans le périnée jusqu'à la cuisse, au scalpel si tu as de la chance, au ciseau si la tête est trop près… ultime violence…

 

Et… délivrance.
Dans un chaos de douleur, d'épuisement, de colère… Et cette petite chose enfin dehors, enfin contre toi, qui a subi les premiers effrois, une première petite mort, perdue dans un autre monde….

 

Douleurs encore, il faut expulser l'outillage, le placenta… c'est fini...

 

Ton ventre martyrisé est triste, vide.

Tu n'es plus un vaisseau fantastique, tu n'es plus que toi…

« Bébé ?Tu vas bien ? Tu es là ? »

Mais celui-là est mort.

Le rêve est terminé et la vie commence…

Ce bébé n'est plus à toi, il est né au monde.



23/03/2016

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