Petit sortilege sans pretention

Petit sortilege sans pretention

Gédéon l'explorateur

 

 

 

 

Autrefois, sur un monde comme le nôtre, était un grand jardin, habité de plantes et d’animaux, mais sans humain, sur son sol.

Autrefois, sur ce monde les arbres marchaient, courraient même et puis, le grand Magicien est arrivé.

 

Il voyageait, chevauchant une étoile, il venait d’une planète de magiciens. C’était un explorateur.

Il avait voyagé pendant mille-quatre-cents années lumières, à peu de choses près.

Et puis, tout à coup son étoile est tombée en panne. Or, il faut beaucoup plus que les pouvoirs magiques d’un seul magicien pour enflammer une étoile. Il ne put donc pas repartir.

Et il faut beaucoup plus que le hasard pour qu’une étoile tombe en panne, il faut que soit lancé un mauvais sort. Sans doute sur Magystère, la planète de Gédéon, y avait-il une personne qui ne voulait pas qu’il revint.

 

Gédéon s’est envolé, juste avant que l’étoile ne s’écrase.

 

Il se pose aux abords d’une forêt. Il est un peu déboussolé, inquiet, mais les explorateurs savent qu’ils prennent des risques, qu’à voyager, un jour peut-être, ils peuvent ne pas rentrer chez eux.

La forêt est très agitée, des arbres courent dans tous les sens. Occupés à se rentrer les uns dans les autres, ils font tomber leurs fruits.

Gédéon le remarque à peine, il ne sait pas ce que sont les fruits. Sur Magystère, sa planète, on ne mange pas vraiment, on boit parfois des potions, on aspire des poussières, on croque des champignons.

 

Le magicien observe un moment la course désordonnée des arbres. Et il s’envole, curieux de l’endroit où il est tombé. I

Il court autour du monde, constate qu’il n’est pas si grand et qu’il est magnifique : bleu, vert, gris et rouge et jaune, orangé et brun… un monde arc-en-ciel.

Le grand magicien se raisonne pour accepter son sort : il aurait pu tomber plus mal que sur ce globe… et puis sa magie l’accompagne.

 

Partout le monde est beau, mais près de cette forêt où il est arrivé, il se sent un peu comme chez lui.

Alors, puisant dans ses forces invisibles, Gédéon aménage un endroit à son goût. Une belle maison de bois sculpté et peinte des paysages qui lui ont plu.

Il y a aussi, se déplaçant sur le bois, les images d’animaux extraordinaires qu’il a découvert au cours de sa visite de la planète. Et puis d’autres créatures que vous n’avez probablement jamais vu : les dragons, les licornes, les dodos…

 

Sa maison terminée, grâce à sa magie encore, Gédéon creuse un puits, conçoit un jardin…

Et puis quand il est satisfait de ses travaux, le voilà qu’il tourne en rond.

 

Il se promène alors autour de chez lui et s’ennuie de n’avoir personne à qui parler.

Les arbres courent, se heurtent. Il faut faire attention pour ne pas se faire renverser.

Un ours, assis sur les racines d’un arbre tranquille se déplace sans avoir à marcher.

Gédéon le voit ramasser une petite pomme rouge et la croquer. Il s’étonne et à son tour en ramasse une et la porte à sa bouche.

C’est incroyable ! il n’a jamais mangé quelque chose d’aussi bon ! Il regarde alors ce qui tombe un peu partout autour des plantes et découvre les poires, les cerises, les pêches...

Il goûte tout ce qu’il trouve par terre. Les arbres portent fleurs et fruits, les saisons n’existent pas ici, un seul temps, un doux été arrosé régulièrement de pluies fraîches.

 

Le magicien monte à son tour sur les racines d’un chêne et goûte un gland, c’est très amer, tous les fruits ne se mangent pas…

Son arbre suit celui de l’ours. L’animal regarde Gédéon avec curiosité. Gédéon lui parle, l’ours grogne, souffle secoue la tête, gronde mais ne parle pas…

Et au fil de ses découvertes, Gédéon réalise qu’aucun animal ne parle un langage comme le sien. Alors il chante une arabesque magique qui lui permet de comprendre ce que les cris des animaux disent :

« Faim manger, fatiguer dormir, soif boire, chasser, repos, beau le monde, affections, colère... »

 

Les animaux ne se parlent pas, ils partagent leurs émotions, ils vivent l’instant, ils prennent soin de leur famille, jouent parfois. Mais demain, pour eux, n’existe pas et hier n’est plus intéressant.

 

Le magicien voudrait trouver une créature avec laquelle il peut parler.

Les animaux qu’il estime le plus extraordinaire, sont les dragons.

Il en cherche un dans les grottes alentours et découvre un reptile, aux écailles nacrées comme l’intérieur d’un coquillage, allongé sur le sol, qui se chauffe au soleil.

À l’aide d’un autre se ses chants magiques, il lui offre le langage.

L’animal éternue une nuée de braises. Il regarde Gédéon étonné, penche la tête et au lieu de gragouner comme avant, il s’interroge :

« Nourriture ? »

 

Le dragon ne s’inquiète pas de savoir parler, mais ce qu’il dit ne rassure pas Gédéon qui répond :

« Heu ! Non ! Je ne suis pas de la nourriture ! Je suis magicien ! Et je viens d’arriver sur ce monde !

 

Le dragon penche la tête, semble réfléchir un instant et répond :

« Pas nourriture, pas intéressant ! »

 

Il se détourne et entre dans sa grotte.

Le magicien ne se décourage pas et donne la parole à un ours, un lapin, un hibou, une chèvre, un cheval pour s’entendre dire :

« Donne miel

« Va-t-en, peur !

« Silence ! »

 

Mais ni la chèvre, ni le cheval ne lui ont répondu : ils se sont contentés de s’enfuir.

 

La nuit tombe, un arbre passe devant lui, Gédéon voudrait saisir une pomme mais l’arbre se déplace trop vite. Le magicien, agacé, lance ses mains en avant, elles portent un sortilège et tout à coup le pommier s’immobilise. Ses racines plongent profondément dans la terre. Gédéon lui tire la langue, saisit deux pommes et rentre dans sa maison.

 

Franchissant le seuil, il fait un large geste, pour récupérer la magie qu’il a semée ici et là.

Les animaux qu’il a croisés ne pourront plus parler.

Mais l’arbre, pour autant ne se déracine pas pour reprendre sa course : fiché profondément dans la terre, il trouve cela reposant et il est plus facile, ainsi, de saisir les nutriments du sol.

Le pommier commence un rêve sans fin, dans lequel, peut-être, il court encore.

 

Ce sort, lancé légèrement, a des conséquences sur toute la planète, car un arbre bouscule le pommier et le tâtant de ses radicelles, le frêne s’enracine à son tour et découvre combien c’est agréable.

Heurtant le pommier et le frêne, puis se heurtant les uns les autres, toute la forêt, arbre après arbre, s’immobilise avant la fin de la nuit.

Et les jours suivants, les forêts et les jungles du monde entier se reposent enfin. Puisant la vie dans le sol, savourant le soleil et le vent, les arbres rêvent depuis.

 

Dans sa maison, Gédéon souffle un feu dans la cheminée. Il s’assoit sur un coussin d’air qui ressemble à un nuage et regarde les flammes danser. Il mange une des pommes cueillies puis il s’endort.

Son esprit ne se repose pas vraiment car il cherche le moyen de créer quelque chose qui lui tienne compagnie.

 

« Sapristi ! »

 

Gédéon se réveille en sursaut !

Il existe une potion qui enchante n’importe quoi et permet de réaliser les vœux.

Normalement les magiciens n’ont pas besoin de cela, ils peuvent créer tout ce qu’ils désirent, mais ici, précisément, Gédéon ne sait pas ce qu’il veut, il sait qu’il souhaite parler avec une créature vivante, mais il ne sait pas la forme qu’elle pourrait avoir.

 

Le magicien sort alors de ses poches sans fond un tas de poudres, de champignons et de potions, de fioles, d’ustensiles et un chaudron.

Durant des heures, il mélange, distille, chauffe et chante.

Petit à petit, il crée la potion des vœux informulés…

 

Il ramasse la pomme qu’il n’a pas encore mangée et la trempe dans le liquide vert et brillant de son chaudron. Puis il attend… mais il ne se passe rien.

Déçu, il pose le fruit sur une table qui apparaît au même moment. Gédéon étire son nuage et s’endort sur ce lit confortable.

 

Lorsque le magicien se réveille, il jette un coup d’œil à la table. La pomme est sèche et pendant qu’il la regarde, la peau se craquelle et le fruit se fend en deux.

Dans son cœur, à la place des pépins, une petite chose rose est enroulée sur elle-même.

Gédéon prend la demi-sphère dans sa main. Une jambe minuscule se déplie, suivie d’un tout petit corps, aux bras et aux mains délicates. Dans son dos, des ailes transparentes et bleus, mais froissées encore, pendent inutiles.

 

La petite créature est très jolie, rousse, ronde et nue, elle ouvre ses yeux et ses ailes. Elle regarde le grand, grand magicien ému qui la tient dans sa main et dit :

« J’ai froid monsieur… »

 

Il souffle doucement sur elle, les ailes sèchent et se redressent ; la petite fée les agitent et surprise, s’élève dans l’air. Elle découvre la joie de voler, et le magicien la joie de la voir voler. Il l’appelle Rose.

 

Ils se promènent ensemble et parlent.

Gédéon lui apprend tout ce qu’il sait de la magie et des mondes qu’il a vus.

La petite fée devient une amie avec qui il est agréable de vivre.

 

Rose aussi conçoit son petit paradis, une maison, un jardin à sa taille. Mais alors que le temps passe, elle ressent une sorte de vide. Elle voudrait avoir des amis comme elle.

Le magicien comprend bien ce sentiment, alors pour permettre à la petite fée d’avoir un peuple bien à elle, Gédéon lui enseigne la procédure qui lui permettra de créer autant de fées qu’il lui plaira.

 

Le peuple des fées vit tout près du magicien ; mais à nouveau il manque quelque chose à Gédéon et ce n’est pas de pouvoir discuter avec quelqu’un d’autre...

 

Il décide donc de composer encore une fois cette potion magique qui permet d’exaucer les vœux informulés.

Il réfléchit que, quelques mois auparavant lorsque Rose est venue au monde, il avait utilisé une petite pomme. Il se dit :

« J’ai… Comme je ne connais pas vraiment la nature de mon vœu, il faudrait que je prenne mes précautions. »

Et au lieu d’une pomme, c’est une citrouille qui reçoit l’onguent.

 

Il n’a rien de mieux à faire qu’à attendre que la citrouille sèche.

C’est un peu long.

Mais lorsque le légume s’ouvre...

 

Je ne sais pas ce qu’il y aurait eu dans ta citrouille à toi, mais dans celle du magicien, deux enfants de trois ou quatre ans se serraient l’un contre l’autre dans un sommeil qui leur donnait le sourire.

 

« Mais oui, pensa le magicien, c’est ce dont j’avais vraiment besoin : des enfants à grandir, à qui transmettre ce que je sais. Plus tard, ils seront adultes et habiterons ce monde si beau, je leur apprendrai la joie, l’amour et je sais que tout se passera bien avec ou sans moi, parce que Rose et les siens veilleront sur eux… Et leurs enfants… Et même, qui sait, y aura-t-il une fée pour chaque enfant… »

 

Oui, les fées vont avoir du travail, parce que Gédéon réjouit de voir des petits, en invite des dizaines à naître.

 

Je ne sais pas combien de marmousets il y a maintenant sur la planète de Gédéon.

Je sais que, lorsqu’il a été très, très vieux, toutes les fées et leur féetauds ont combiné leur magie et ont réussi à capter une étoile. Le vieux Gédéon l’a enfourchée, il est reparti sur sa planète d’origine.

Il a laissé le peuple des fées et celui des humains nés des citrouilles. Il a laissé les arbres immobiles et il est rentré chez lui.

Si je connais cette histoire c’est parce qu’il a fait une escale sur Terre, quelques dodos se sont échappés de sa poche sans fond, des licornes et des dragons aussi, ce sont eux qui m’ont raconté l’histoire de Gédéon l’explorateur.

 

 

 

 

 



02/05/2021
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