Petit sortilege sans pretention

Petit sortilege sans pretention

L'oiseau de cristal

Dans une boîte d'ébène ouvragée, un bloc de mousse en creux, couvert de satin rouge, protège une très bel objet.
Sur un bloc de pyrite aux éclats d'or sombre, une oiseau de cristal vraisemblable jusqu'à la dernière plume, pourrait prendre vie à l'instant. !

Le coffret posé sur la tablette d'une cheminée attend son nouveau propriétaire : Maurice est mort.

L'année dernière encore Hugo traînait la misère de son corps sur les trottoirs gris d'une ville sans nom, une ville de hasard…
Toutes les villes sont les mêmes, qu'elles s'appellent Froid, Faim, Coups ou Solitude.
Hugo traînait sa misère parce qu'il n'avait pas le courage d'en finir.
L'automne fut pénible. L'hiver détestable.

Au printemps alors qu'il faisait la manche, le regard vide, une petite fille s'approchant, tenue par sa mère, l'avait observé avec curiosité…
La mère pensive était ailleurs et, elle, n'avait pas remarqué le pauvre homme avachi sur le bitume.
L'enfant regardait l'homme, l'homme regardait l'enfant avec tout le chagrin du monde dans les yeux. La petite fille, d'un geste sec, avait libéré sa main et avait couru vers le SDF, sous les yeux effarés de sa mère.
Posant sa main délicate sur l'épaule de ce monsieur qui pleurait, elle lui fit un baiser et lui murmura : « Faut pas pleurer monsieur... »
La mère ressaisit sa fille par la main le plus rapidement qu'elle put. Elle salua brièvement cet homme des murs en lui lâchant un billet.
Choqué au-delà des mots, Hugo récupéra à cet instant précis le sentiment de son humanité.

Novembre secoue sa robe grise. Les refuges sont enfin ouverts et il n'aura pas faim dans les mois qui viennent. Nulle part il n'est bon d'être un sans domicile fixe, à Paris moins qu'ailleurs.
Sa dépression le ralentit. Ses perspectives sont aussi profondes qu'une flaque d'eau sur le trottoir.
Mais là, Hugo décide qu'il a sa dose.
Il cherche un Centre d'Actions Sociales et rejoint l’accueil du bâtiment
Les braves gens s'écartent pour le laisser aller, son odeur nauséabonde et sa crasse lui servent de passe-droit. La secrétaire lui sourit, mal à l'aise, et appelle par téléphone, un cerbère qui s'occupera de ce monsieur encombrant.

Monsieur Granelet est un brave homme. Il sert la main du pauvre hère qu'on vient de lui confier, sans même y penser. Il fait entrer cet homme d'une trentaine d'années dans son bureau, lui propose un café et se met à son écoute pleine et entière :
« -Comment vous appelez-vous et que puis-je pour vous ?
-J'étais Hugo Tricard. Je viens de m'en rappeler. Je voudrais récupérer un peu de ma vie d'avant et de ma dignité… »

Monsieur Granelet n'a pas souvent rencontré des marginaux dans son genre avec une demande aussi ferme de réinsertion, sauf à y avoir été conduit par une cohorte d'intervenants sociaux :
« -Je vous écoute monsieur Tricard.
-Y'a trois ans que j'ai dégringolé. Les trucs de tous les sdf, une vie normale, mais un passé difficile et une sorte de panique qui monte et l'envie de tout foutre en l'air, l'équilibre comme ça pendant quelques mois. La pression, voire la méchanceté qu'on inflige à ses proches. L'usure des siens et finalement le rejet, mérité et qu'on a cherché. Nanou m'a viré et j'ai fini dans la rue. Je suis devenu « personne » et l'année dernière une petite fille m'a fait honte, et m'a soigné avec un peu de compassion. J'en ai marre d'être monsieur personne. J'ai compris pas mal de trucs. J'ai une gamine, elle doit avoir quatre ans, je ne la connais pas. Le bébé qu'elle était, ne m’intéressait pas, je ne m'occupais que de ma douleur : la nourrir et l'habiter et j'avais oublié le monde….
-Monsieur Tricard… vous m’impressionnez… Je ne me souviens pas avoir vu un homme perdu, être capable d'un tel recul et d'un regard aussi clair sur sa vie. Quelqu'un vous a-t-il aidé ?….Vraiment ? Vous avez, seul, fait un travail énorme sur vous-même… Nous allons agiter quelques chaînes et vous trouver de quoi retourner à une vie plus normale. »

Monsieur Tricard, devient le soir même un compagnon d'Emmaüs.
Le confort spartiate assortie des règles draconiennes de la communauté ne l'incommode pas plus que ça.
Reprendre sa vie en main est administrativement contraignant et difficile. Mais lorsque la volonté est là, les démarches s’enchaînent et finissent par aboutir. Il n'a en charge ni sa nourriture, ni ses soins et l'assistante sociale vient chaque semaine. Monsieur Tricard évite de se lier avec qui que ce soit, il a besoin d'une certaine solitude et il y a trop d'échos de souffrance dans l'âme des compagnons.

Cela fait trois mois qu'il travaille pour Emmaüs, il renoue avec sa formation initiale de dépanneurs de produits blancs.
Ce matin, à l'atelier, Roger lui apporte une lettre qui vient d'un cabinet de notaires. Ce genre de courrier, un peu angoissant, Hugo s'en passerait bien… Mais dans « reprendre sa vie en main » il y a « ouvrir les courriers anxiogènes ».

 

 

« Cher monsieur Tricard, je suis heureux de découvrir que nos recherches ont enfin abouti. Mon cabinet enquête depuis un an et demi et ceci pour vous informer que monsieur Tricard Maurice, fils de Tricard Paul et Maryse née Verger, vous a désigné le légataire universel de ses biens. Il vous lègue ses possessions en souvenir de son neveu, feu votre père. Aucune charge ne vous incombe, les frais de succession seront prélevés sur les liquidités restantes.
Il était mon plus vieil ami, je tenais sincèrement à vous retrouver.
Si vous êtes d'accord et disponible, venez à mon cabinet jeudi 28 février à 10 heures.


Cabinet de notaire
Maître Achille Morel
10 Rue d'Auvergne
41 000 Blois »


Le cabinet du notaire est dans la bonne ville de Blois. Le Directeur d'Emmaüs valide volontiers la demande d'Hugo qui a décidé de s'y rendre. Et le jeudi suivant, un homme un peu inquiet prend le train gare d’Austerlitz pour Blois à sept heures trente. Il arrive une heure et demie plus tard et se fait conduire à l'adresse du notaire, par un taxi.
Il est assez mal à l'aise, il ne se sent pas dans son élément, depuis ce matin, il lui semble vivre la vie d'un autre : payer son billet, prendre le train, héler un taxi…
Devant la porte du notaire, il a juste envie de faire demi-tour et de retourner à Paris se cacher dans les jupes en briques de l'Abbé Pierre.
Mais il sonne et entre.

Il n'attend pas longtemps, la secrétaire le fait entrer dans un bureau cossu. Maître Morel se lève pour l'accueillir et lui serrer la main :
« -Monsieur Tricard, je suis heureux de vous rencontrer. La mort de votre grand-oncle a été une grande perte pour moi. Il m'a mis le pied à l'étrier. Je lui dois ce cabinet de notaire….
-Je vous remercie du mal que vous vous êtes donné pour me retrouver. Je ne connaissais Maurice qu'au travers des récits de mon père. Je l'ai vu quelques fois dans mon enfance, mais mon père est décédé lorsque j'avais huit ans et ma mère l'a suivi peu de temps après. C'est une tante maternelle et brutale qui m'a élevé et je n'ai jamais revu Maurice... »

 

Le testament est ouvert. Les dernières volontés de MonsieurTricard Maurice sont claires ; il lègue toutes ses liquidités excepté son livret A à monsieur Morel Achille, desquelles seront déduits les frais liés à la succession.


Il lègue à son petit neveu, sa maison et tous les biens qu'elle contient, son livret A, à la condition notable que celui-ci prenne en charge l'intégralité financière de l'éducation de sa fille, Valérie.
Au détour de ces dernières volontés, Hugo découvre que cet homme a pris de ses nouvelles de loin en loin. Monsieur Morel lui apprend qu'il connaissait son ex-femme et son enfant Valérie et qu'il les a aidés quelques fois. A travers son testament, il désirait laisser une chance de s'en sortir à son petit neveu et de reprendre ses responsabilités en main, il savait que la vie n'avait pas été tendre avec lui.


« Votre grand-oncle supportait à peine les enfants. Il m'a dit à quelques rares occasions, qu'il n'avait pas été très courageux à votre égard et qu'il s'en voulait. Sans doute est-ce une des raisons qui l'a poussé à faire de vous son légataire.
-Je ne sais pas trop quoi dire, je l'avais oublié, il ne faisait pas partie de ma vie, je peux pas lui en vouloir. De quoi est-il mort ?
-C'est un peu mystérieux, je ne sais pas très bien. Nous avions une très belle relation depuis une quinzaine d'année. Par le passé, je l'avais aidé pour une affaire de droit commun. Nous nous étions bien entendu, je dirais même trouvé. Je le voyais chaque semaine…
Un jour, où nous devions partager un déjeuner, il n'est pas venu. J'étais très inquiet. Je me suis rendu chez lui. Il avait une attitude étrange, lointaine et un peu froide, il m'a fait comprendre que je le dérangeais.
La semaine suivante, je n'avais aucune nouvelle et je ne l'avais pas revu, c'était totalement inhabituel… Je suis retourné à son domicile. Il avait maigri et son regard était habité d'une sorte de fièvre étrange, que je ne lui connaissais pas. Je lui ai demandé comment il allait. Il m'a dit mieux que jamais… Avait-il des problèmes de santé ? Aucun… Je lui dis alors que je ne lui trouvais pas bonne mine. Il s'est fâché, m'a éconduit et m'a demandé de ne plus le déranger. Cela m'a beaucoup affecté. Mais j'ai continué à prendre de ses nouvelles. Il répondait parfois au téléphone, pour me dire que je ne devais pas m'inquiéter, qu'il allait bien. Durant les quinze jours qui ont précédé sa mort, je ne l'ai pas entendu. Je m'apprêtais à lui rendre visite, lorsque j'ai appris son décès. J'ai parlé de cette étrange situation à la police. J'ai obtenu que soit réalisé une autopsie. Mon métier m'assure quelques connaissances utiles. Ils n'ont rien trouvé. Apparemment il est mort d'épuisement, et de déshydratation, c'était un homme âgé, je ne sais pas ce qui l'a habité à la fin de sa vie.
-Et maintenant que dois-je faire ?

-Le règlement de la succession sera rapide, c'est moi qui m'en occupe. Tout est près depuis longtemps, nous allons signer quelques documents... »

 

À l'issu du rendez-vous, Hugo retourne à Emmaüs, un peu chamboulé.

Le directeur est ravi pour lui ; ce genre de conclusion heureuse pour un compagnon n'arrive jamais :
« -Êtes-vous prêt Hugo ? À reprendre votre vie en main, à gérer un bien, à vous occuper de votre fille ?
-Oui, je crois que oui. La psy, ici, m'a bien aidé. Je n'ai pas tout réglé, mais je suis beaucoup plus serein. Et je ne ressens pas le besoin de boire, comme cela put être le cas pour des raisons que vous comprenez sans doute.
-Oui, on dirait que votre chemin est tracé et que tout coule de source…
-Je ne sais pas ce dont je vais véritablement hériter, mais je n’oublierai pas Emmaüs. »

 


Et c'est ainsi que deux mois plus tard, le dernier descendant mâle de la famille Tricard entre dans la maison qu'il a connue enfant et qui lui appartient désormais. Maître Morel l'attendait à la gare, il l'a conduit directement à son nouveau domicile
Monsieur Morel devait vraiment aimer Maurice. Il a tout fait pour accélérer les procédures et de plus, avec la permission de l'héritier, il débarrassa la maison du bazar de toute une vie, récupérant, sans le cacher, les souvenirs qui le liaient à son ami décédé.
Ni le notaire, ni la femme de ménage, ni les déménageurs ne virent, sur le bord de la cheminée, une boîte d'ébène finement ouvragée. C'est pourtant ce que Hugo remarque en premier lorsqu'il pénètre dans le salon et il en ressent un certain émoi, qui le détourne de la cheminée.

L'après-midi se termine : le jour décline rapidement. Le nouvel arrivé est fatigué. La maison est de plain-pied, elle aurait pu accueillir une petite familles : les pièces sont plutôt spacieuses. Autour du salon trois portes s'ouvrent sur une cuisine fonctionnelle, une chambre au papier démodé mais confortable, une pièce de rangement à peu près vide.
La baie vitrée du salon laissera entrer beaucoup de lumière et le mystère d'un jardin, pour le moment dissimulé par la pénombre.
Hugo n'a pas faim, il est un peu confus et décide de se coucher. Sans doute se lèvera-t-il très tôt, mais peu importe.

Dans son écrin de satin, le cristal de l'oiseau, brille doucement d'une lueur chaude.

Au matin un homme reposé se prépare un café, avec un paquet qu'il a prudemment emporté. Sans son breuvage, il ne vaut rien. Un coup d’œil par la baie vitrée l'informe qu'un joli jardin, ombragé par un beau poirier, est là qui attend ses soins.
Après son café, il inspire profondément et, résolu, appelle le numéro que maître Morel lui a donné :
« -Bonjour, Nanou ?
-Bonjour, qui êtes-vous ?
-Hugo…
-….
-Ne raccroche pas. Je suis sain de corps et d'esprit, je ne vais pas t'emmerder. J'ai hérité de Maurice, le frère de mon grand-père, mais tu le connais je crois ?

-…
-Valérie était citée dans son testament, j'ai hérité à la condition de prendre en charge les besoins financiers liés à son éducation.
-… Je me disais aussi…
-Non, tu ne sais plus qui je suis, tu sais plus ou moins qui j'étais. Je reconnais que je vous ai fait du mal à toi, à la petite. Tu sais que j'avais un sérieux travail à faire sur moi. Je n'ai pas su agir autrement. Je te demande pardon. Tu n'es pas obligée de me croire sur parole… Mais maintenant que mon cœur est soulagé de sa colère, je suis enfin quelqu'un de serein.
-Qu'est-ce que tu veux ?
-Ton RIB et la permission de voir Valérie une fois par semaine, avec toi ou quelqu'un d'autre, dans un salon de thé… ça te paraît acceptable ?

-… Laisse-moi y réfléchir, moi, la colère n'a pas quitté mon cœur ! »



Lorsqu'il raccroche, Hugo tremble encore. Il est content d'avoir passé cette épreuve. Le cœur plus léger, il fait le tour de la maison.
La cuisine contient tout le nécessaire : des ustensiles, de la vaisselle et l'électro-ménager minimum. Elle communique avec la salle de bain.
La chambre comprend un lit, un table de nuit, une commode, une armoire. Tous les meubles sont vides à l'exception du linge de maison, dans le placard et des quelques vêtements qu'il a rangés la veille. La chambre est attenante à la salle de bain, qui dispose d'une baignoire et d'une douche.
La pièce de rangement contient quelques cartons de livres et des bibelots, une horloge, un écritoire ancien, de la vaisselle en cristal et un service en kaolin…
Le tour du salon est vite fait, un canapé et sa table basse devant lui, deux fauteuils, une grande table de bois massif, six chaises assorties. Les autres meubles ont été donnés à Emmaüs…
En réalité, Hugo admet qu'il tourne autour du coffret de bois, l'évite et cherche le courage de l'approcher. Depuis la veille, chaque fois qu'il entre dans le salon, il le regarde. Quelque chose l'attire et l'effraie qui émane de cet objet.
Finalement, son tour de la maison est terminé, il en a fouillé tous les recoins… Reste ce petit coffre de bois...
Il éprouve une sérieuse appréhension, mais se trouve ridicule.
Il avance une main ferme pour saisir la boîte d'ébène.
Sans logique ni raison, il est soudain soulagé d'un grand poids.

Le petite coffre pèse trois ou quatre cents grammes, le bois en est sculpté avec une finesse incroyable. Un crochet doré assure la fermeture du couvercle et du corps. Il l'ouvre enfin.
Sur un lit de satin rouge, un oiseau de cristal, partiellement teint dans la forme, se joue de la lumière d'une façon exquise. L'oiseau pourrait s'envoler, comme travaillé au laser, réaliste et fin... Mais l'objet semble bien trop ancien, il a été façonné à la main et c'est ce qui le rend remarquable.
Hugo le sort délicatement de son écrin, il est bouleversé et stupéfait par sa beauté. Il le pose sur la cheminée pour le contempler.

Le temps passe. Hugo ne bouge plus : il vit une expérience insolite :
alors qu'il regarde l'oiseau, celui-ci s'envole en chantant d'une voix très pure et Hugo le suit, mais sans que son corps ne bouge. Ses yeux, cependant, sous ses paupières qui se ferment, oscillent rapidement d'un côté à l'autre et le monde de l'oiseau se substitue soudain, à la réalité.

Il court derrière le volatile de lumière qui se meut avec grâce. Sur un chemin de terre battu, à travers des champs d'herbes d'un vert tendre, il court avec le cœur léger comme s'il était encore enfant.
Il suit les pente
s douces d'une colline qu'il franchit et entre dans un sous-bois. L'odeur de l'humus et celle plus subtile de lilas, l'invite à respirer à plein poumon. Une joie sans commune mesure avec ce qu'il a pu connaître le secoue tout entier.
Le sous-bois s'ouvre sur une clairière. Hugo a cessé de courir, il voit au pied d'une cascade d'écume blanche et scintillante, une pièce d'eau comme une aigue-marine, bordé de nymphéas.
L'oiseau de cristal retrouve ses congénères : des dizaines d'oiseaux aux nuances différentes, aussi beau
x que le sien. Ils chantent une mélodie ancienne auquel manquait la voix du volatile qui l'a conduit là. Et le chant déploie en une harmonie parfaite…
L'homme sous le charme, entre dans une transe extatique.
Tous ses sens
sont saturés de bien être et de joie.

Dans une autre dimension, infiniment plus fade et dans laquelle on meurt un jour, le corps de Hugo émet une brume fine qui flotte jusqu'à la statuette de cristal, debout sur son bloc de pirite.
L'oiseau brille comme une étoile difficile à regarder.
Au cœur du verre, une conscience froide et parasit
aire vampirise l'extase d'un homme qui la nourrit. Elle, dont le support ne permet pas de goûter à la vie. Elle, qui est piégé là depuis des centaines d'années, dévore l'énergie vitale de sa proie et se réjouit : un jour prochain, elle pourra quitter sa prison de verre...
Elle a besoin d'un être dont le sang particulier
lui permet de se nourrir ; un sang qui porte les stigmates de la malédiction qui la retient prisonnière, le sang des Tricard.
Soudain l
a charpente de l'homme épuisé s'effondre sur le plancher. La conscience s'endort repue.

Six heures passent pendant lesquelles Hugo récupère partiellement.
Lorsqu’il se réveille son corps est lourd et douloureux. Il ouvre les yeux et l'adrénaline afflux dans son sang : il sait ce qui a tué Maurice.
Cet oiseau est une chose merveilleuse et
diablement dangereuse. C'est une drogue, une drogue immédiatement addictive.
Comment renoncer au paradis quand on vit au purgatoire ? Qu'importe
de manger ou de boire, de dormir, si le plaisir d'une vie extatique vous submerge totalement.
Hugo se précipite sur l'oiseau pour le remettre dans son coffre
t. Il l'emballe en tremblant dans un sac résistant à l'eau et s'en va l'enterrer dans le jardin. La conscience dans le cristal grommelle silencieusement de contrariété.

Les rêves de ces heures précieuses hantent le sommeil d'un homme qui résiste à une obsession : récupérer l'objet..
Quelques jours se passent.
La fatigue l'étreint ; il est tout près de céder à la tentation. Cette nuit le froid l'a réveillé, il était dans le jardin sans le souvenir de s'y être rendu. Il est retourné dans sa chambre effrayé : il sait que l'oiseau l'appelle.
Le jour se lève et pousse un homme éreinté hors du lit. Son café avalé, il veut se rendre chez le notaire pour lui parler de l'oiseau.
Son téléphone retentit : c'est Nanou, elle est libre cette après-midi. Hugo remet sa visite à plus tard et se rend en ville pour se faire couper les cheveux et se trouver des vêtements convenable.

C'est la première fois qu'il revoit sa fille, son émotion est très forte. Elle est très jolie. Une petite rousse aux yeux gris, sa bouille à la peau clair est potelé. Elle est proportionnée comme une petite fille de son âge. Une enfant à croquer.
Nanou l'accompagne. Elle a les traits tirés et le visage fermé.
Elles s'assoient toutes les deux. Hugo brise le silence qui comprime l'air autour d'eux :
« Coucou petite fille… Sais-tu qui je suis ?
-Tu es peut-être mon papa …

-Peut-être -Hugo jette un coup d’œil à Nanou et s'empourpre-
-Oui maman dit qu'il faut être très gentil pour avoir le droit d'être un papa.
-Ho… et crois-tu que je sois très gentil ?
-Je sais pas -elle le jauge- tu sens bon, tu es beau, peut-être que tu es gentil…
-Et tu trouverais gentil que je te commande un goûter ? Pourrais-tu me dire ce qui te ferait plaisir de manger ? »

La petite fille sourit et Nanou se détend un peu. Deux heures passent agréablement. En partant Valérie embrasse son père potentiel et Nanou sourit gentillement, visiblement émue… Elle laisse son RIB à Hugo et promet de téléphoner.
Il est trop tard maintenant pour aller voir monsieur Morel.
Un homme retourne chez lui bien plus joyeux qu'il n'en était parti. Son purgatoire s'illumine : l'oiseau ne lui fait plus peur.
Et pourtant…
La conscience dans le cristal perd patience, elle a faim, elle est à quelques ondes d'énergie vitales de pouvoir se libérer. Elle va devoir utiliser un peu de magie pour contraindre son geôlier de l'utiliser. Et cette fois elle fera en sorte que ce soit la dernière !

Lorsqu'Hugo va se coucher, la lune éclaire le ciel. Un profond sommeil l'enlève et la conscience dans le cristal attaque…

La lumière entre dans la chambre. Elle est belle comme un rayonnement d'or et de feu. Un rire cristallin ondule dans le jardin et le tire de son lit. Par la fenêtre de sa chambre il voit un bout de l'espace vert éclairé de l'or de la lune.
Hugo se dirige vers la porte vitrée du salon.
Le spectacle est renversant :une sphère arc-en-ciel comme une bulle de savon irradie près du
poirier. Dans sa lumière paisible, une petite fille rousse et souriante lui tend les bras. Elle ressemble étonnamment à Valérie. Il sort et s'approche sans hésiter… Il l'attrape pour la prendre dans ses bras mais sa cheville est attaché un anneau de fer partiellement enterré. Il gratte la terre et découvre l'anneau. La petite fille secoue sa jambe et l'anneau se détache. Elle se met accroupie et contemple quelque chose dans le sol. Une jolie boîte dorée qui diffuse une lueur semblable à la sphère, peut-être même en est-elle la source…
Hugo se baisse et saisit la boîte, de son autre main il enveloppe la menotte de sa fille et rentrent tous les deux dans la maison. La lumière est inutile. Le coffret brille suffisamment. La petite fille tape dans ses mains et sautille sur place, elle veut en voir le contenu. Hugo sourit, extrait une jolie poupée de cristal du coffret et le pose sur la table
basse, devant le canapé. La petite fille le tire par la main pour le faire asseoir. Puis attrapant ses pieds elle essaye de lui lever les jambes pour qu'il s'allonge. Hugo se plie volontiers à sa demande. La poupée devant lui pulse comme un cœur qui bat.

Hugo la contemple dans son esprit et, dans l'obscurité du salon, ses paupières se ferment.
La conscience à l'intérieure de l'oiseau jubile… Manger enfin, et se libérer. Qu'il meurt, aucune importance pourvu qu'il ait assez d'énergie lui permettant de se désolidariser du cristal.

Rien ne tire Hugo de son extase. Ni le froid qui entre par la porte fenêtre restée ouverte, ni le jour, ni le téléphone qui sonne…
Ni deux jours plus tard, la sonnette de l'entrée….

La veille Nanou avait appelé Hugo, plusieurs fois. Il n'avait pas répondu. Elle avait besoin de lui parler et de lui confier la douleur qu'il avait générée en elle. Elle avait envie de lui pardonner…

 

Dans un premier temps comme il ne répondait pas à ses appels la déception l'avait saisie, puis la colère : finalement rien n'avait changé...
Mais la nuit venue, l'inquiétude l'avait gagnée : elle sentait qu'Hugo n'est plus le même homme. Elle le savait. Il attendait son coup de fil ; elle avait bien senti qu'il le désirait.
Elle décida de lui laisser une dernière chance… de leur laisser une chance et après avoir laissé Valérie à l'école, elle se rendit au domicile de Maurice…
Rien ne bougeait dans le quartier. Elle s'approcha de la maison et sonna.
Aucune réponse


Nanou entre, bien qu'elle n'y est pas été invitée…
L'entrée donne directement dans le salon.
Il fait un froid de canard dans la maison : la porte vitrée est ouverte Hugo est allongé sur le canapé et ne bouge pas. La jeune femme est affolée. Elle s'approche rapidement. Elle le touche, il est gelé… Elle se précipite pour fermer l'accès au jardin. Et court vers la chambre pour attraper une couverture et retourne auprès d'Hugo. La lumière du jour, sous cet angle, lui permet de voir, une brume légère qui semble s'échapper de la peau de l'homme qu'elle a aimé, qu'elle aime peut-être encore, étant donné son degré d'anxiété.
La brume ne monte pas vers le plafond, elle semble se diriger vers la table basse et entrer ou créer une sphère lumineuse au contour bien nette Nanou pose la couverture sur Hugo et du bout des doigts, elle explore l'orbe chatoillante.
Une vive brûlure la fait crier, elle recule la main. Le phénomène est vraiment anormal… Avec un pli de la couverture pour se protéger, elle itère l'expérience et tente de saisir un volume qu'elle a effleuré à l'intérieur mais qu'elle ne peut identifier…
Soudain Hugo gémit faiblement. Nanou sursaute et l'étrange objet lui échappe… Il heurte la table, émet un curieux bruit de bascule et éclate sur le plancher… Nanou voit soudain, clairement la statuette d'un oiseau de verre cassé, dont les éclats sont répandus sur le sol…
La brume semble hésiter un instant. Puis elle reflue, comme aspirée par le corps de l'homme alité.
Dans l'oiseau de cristal, la conscience s'éteint… Il s'en était fallu de si peu… De si peu…

Une ambulance se dirige vers l'hôpital. Elle y conduit un homme en état de choc et d'hypothermie. Une intraveineuse l'hydrate dans l'urgence.
Nanou inquiète suit des yeux le véhicule qui s'éloigne. Elle ne sait pas ce qui s'est passé, ni si Hugo s'en sortira, mais elle l'espère de tout son cœur…

Dans un jardin, un bosquet de roses accueille le printemps. Les boutons éclosent doucement. La grosse branche d'un poirier octogénère supporte un balançoire sur laquelle une petite fille rousse s'abandonne.
Par la porte fenêtre ouverte, elle entend rire ses parents. Une délicieuse odeur de pain grillé s'échappe de la maison. La fillette saute sur sol et court vers son papa qui lui tend les bras.




11/01/2016
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