Le Coucou---------audio------
On l'appelle le Coucou. On le connaît depuis toujours ici, si on a moins de trente ans. Mais personne ne sait qui est la mère qui l'a pondu. Pas même le curé… Surtout pas lui...
Quand même, l'oiseau, c'est à lui qu'on l'a confié… Lui, il dit que c'est à Dieu.
Mais pour moi la maison de Dieu, ou la maison du Curé c'est pas la même chose. Et le Coucou c'est pas sur le parvis de l'église qu'on l'avait emballé, mais bien devant la porte d'un homme,fût-il à son service.
Le coucou, ce pauvre piot, pondu dans un nid qu'était pas le sien, il n'avait même pas la grâce d'être beau.
Le diocèse ne voulait rien savoir ; et à cette époque, il fallait insister pour que la DASS récolte les œufs abandonnés !
Et puis, il y avait la Michaude, cette pauvre vieille fille en mal d'enfant. T'aurais dû voir la fièvre dans ses yeux, quand on s'approchait pour voir le mioche.
Le curé les a gardés, le coucou et pis sa mère d'adoption. Tous les trois sont devenus la famille sans nom du village.
Le temps a passé comme partout, le curé portait ses âmes, la Michaude portait le Coucou et le Coucou portait toutes sortes de choses. D'abord des couches, puis tous les paniers de sa manmère et pour finir les coups : il les portait et il les recevait.
Ce petit là, a tendu son poing plus souvent que sa joue. Fallait bien ! C'était souvent lui, contre tous les autres... Les coucous sans leur nid, ils n'ont pas trop de droit au territoire ou aux amis.
Tout ce qui fait la joie de grandir lui a été refusé. L'école était dure avec le « fils » du Curé. Bien sûr c'est pas comme ça qu'il disait l'Instituteur. Il l'appelait l'enfant de chœur, enfin quand il était de bonne humeur, parce qu'en fait de surnom, c'est lui qui l'a baptisé Coucou…
Ce méchant-là, il en aurait bouffé du curé…
Alors un piot, qu'avait pas l'air malin et qu'était pas bien beau, élevé par un curé et une grenouille de bénitier, sans rire, le pauvre gosse, la charrette était déjà bien chargée.
Et puis, ben, comme il était montré du doigt par les vieux,le Coucou, les morveux s'en donnaient à cœur joie : pas un mois sans un bleu, pas une année sans un plâtre… Alors le coucou, il sait se battre. Ça c'est sûr !
Et plus qu'il a grandi, et moins qu'on l'a emmerdé !
Et la Michaude… qui cavalait dans le village, avec son balais de cours en guise de massue pour chauffer le fondement et les reins de çui-ci ou de çui-là qu'avait gâté la blouse de son mouflet, ou qui l'avait fait tomber…
Le Curé, lui, il rasait les murs en cas d'histoires, il prenait un air de saint-homme inspiré, mais c'est surtout les railleries qu'il inspirait.
Pour le reste c'était pas un mauvais homme. Il chahutait parfois les cheveux en broussailles de cet enfant qu'il n'élevait pas et ne parlait pas de lui en mal.
Tout le village regardait vivre la famille sans nom, comme les pièces à suivre qu'on diffusait à la radio !
Et puis c'est venu l'âge ingrat. C'est pas facile cet âge-là, pour personne ! Alors pour le Coucou… Il s'est assis sur ses rêves de gloire et d'amour beaucoup plus vite que les autres et comme il avait que ça à faire, il cognait contre des sacs de sons... Quand la manmère le laissait respirer.
Sa figure de coucou criblée de grenaille était posée sur un corps devenu puissant et en pleine santé.
La Michaude avait quand même pu ferrer du bon sens dans ce crâne de piaf. T'aurais dû voir comme elle était fière de son puceau !
Elle l'appelait… attends-voir, Comment qui s'appelle ?Thomas ! C'est ça « Montomamoi » qu'elle disait !
L'un dans l'autre, vu l’œuf de départ, il s'en tirait pas si mal le Coucou.
Et il a eu son heure de gloire.
À la Saint-Jean, on chasse le Diable et on allume un feu d'enfer. On boit beaucoup et on fait des promesses.
Les Bourgeois du coin restaient entre eux pour se détester cordialement.
Les paysans moins farouches sympathisaient par centre d'intérêt : les vaches, les terres, le vin, les filles…
Ce soir de Saint-Jean, il faisait une chaleur de premier cercle infernal et les écharpes avaient bien bu. Ça discutait dur au sujet du terrain du Legros qu'avait passé l'an dernier et qui n'avait pas d'héritier.
Sa propriété était construite à cheval sur chez nous et sur le village de Dinant. Et voilà que ces deux maires en coqs s’emmêlent, se cognent la choppe et en viennent aux noms d'oiseaux.
L'un comme l'autre revendiquent la propriété qui, en plus, abrite une source abondante et pure.
On soupçonne le Maire de Dinant d'avoir des amis pas bien catholiques, voire franchement cornus. Et quand il s'est mis à menacer le coq d'ici n'envoyer ses troupes pour régler le problème, not'e maire à nous n'en menait pas large. Mais il a quand même crâné en disant : « Viens-t-en Baron, on règle ça entre homme, je va te farcir le museau !!!»
Les deux villages écoutent la querelle, personne n'a pour l'instant décidé que c'est vraiment la guerre, et on est pas encore tout à fait prés à se fâcher ; il y en a même qu'était pas loin de conclure des pactes de toutes sortes. Alors autant être sûr avant de renoncer à l'affaire et à ses charmes.
Les deux maires ont un âge et un volume équivalent, ni l'un ni l'autre ne sont sûr de l'emporter….
Aussitôt les coqs redescendent de leurs ergots et sous prétexte de bienséance, réfléchissent entre-eux, au moyens de régler le litige.
Le maire de Dinant plutôt sûr de lui dit à son compère : « On va choisir un champion ! »
Ils savent l'un et l'autre qu'ils ont chacun une brute pour la taloche.
Et « cochon qui s'en dédie », on avance les noms des champions.
Le lendemain à l'aube, les hommes s'affronteront dans le champs du Legros jusqu’à ce que l'un d'eux tape au sol en signe d'abandon… Tout le monde sait qu'il n'y aura pas d'abandon parce que le village en entier demanderait des comptes, ainsi un KO fera bien l'affaire.
Le Bessan a 25 ans, il est le plus fort, c'est le fils du gros maraîcher et le village l'aime beaucoup. C'est lui qui défendra le droit de la terre devant Dieu. L'affaire est dite, on boit un coup et le Bessan rentre chez lui se reposer sur ses rêves de gloire, fort de la confiance qu'on lui accorde.
Sauf qu'il ne rentrera pas entier ce soir-là, une drôle de bête à trois têtes et six bras lui est tombé sur le râble et lui a cassé le bras…
Alors le lendemain à six heures, la Michaude a ouvert la maison du curé à une drôle de procession : le magistrat et ses deux adjoints. Et le maire, gonflant le jabot a pris son air important pour dire :
« Faut que le Coucou remplace le Bessan… »
Il a pas fini sa phrase qu'il se retrouve avec le bois de la porte contre le nez ! Il hésite un peu sur la conduite à tenir, s'empourpre et s’apprête à frapper à nouveau, quand la porte s'ouvre et que la Michaude le toise de son mètre cinquante et voilà ce qu'ils se sont dit, à peu près :
« Expliques-moi un peu qu'est-ce que montomamoi, tirera de c't'affaire. Y'en a pas un seul dans ce foutu village qui ait été bon avec lui ! Dis-moi donc pourquoi qui se ferait encore taper d'ssus pour vous zaut'es ?
-On parle de gros sous la mère ?
-Nan ! On parle de reconnaissance !
-Faudrait voir à pas trop faire la gourmande…
-C'est toi et tes administrés qui avez besoin de montomamoi ! Il a pas de parent, il a pas de famille, il fera sûrement pas un beau mariage et moi j'ai pas de biens. Je trouve que ce piot-là en a déjà assez bavé comme ça et je trouve aussi que vous avez pas payé bien cher les mauvaisetés que vous lui avez tous fait ! M'est avis que Dieu s'en mêle et qu'il lui donne sa part !
-Alors qu'est-ce que tu veux ?
-Le lopin de la mère Lenain !
-Le lop… Dis t'y va pas un peu fort là ?
-C'est une bonne terre noire, mais c'est quand même pas un royaume elle vaut beaucoup moins cher que la terre du Legros et puis elle a pas de source ! Juste un marché honnête pour un enfant pauvre ! C'est ça ou rien monsieur le Maire… »
Quatre hommes courent après leur corpulence pour rattraper le temps perdu. Sautillant d'une jambe sur l'autre, essayant ainsi d'enfiler ses vêtements, le Coucou qu'on a sorti du lit s'en va au combat. À peine si on lui a expliqué : « Tu vas taper le Noireau à la place du Bessan pour récupérer le terrain du Legros, c'est ta mère qui l'ordonne ! »
Le Coucou n'a pas l'habitude de discutailler, agir promptement évite bien des claques !
Quand il arrive dans le champs, derrière la ferme du Legros, les deux villages sont là, à l'extérieur du barbelé et au milieu du champs le Noireau pavoise.
Dès qu'il aperçoit le belliqueux en retard, il lève les bras au ciel et demande en se gaussant où est son adversaire. Le maire, rouge de sa course et de sa récente négociation lui répond : « le champion est blessé c'est le Coucou qu'est désigné ».
Eclat de rire général du côté des Dinois… Ils ne savent rien de ce Coucou là sauf qu'il passe pour l'idiot du village, et qu'il en soit le représentant les font hurler de rire, jusqu'à rouler par terre.
Le Coucou se démonte pas : le monde entier pourrait ricaner que ça ne lui ferait ni chaud, ni froid. Alors sans chercher de mise en scène ou à évaluer quoique ce soit, il tombe sa veste et va droit sur le Noireau.
Le beau gosse de Dinant ramasse ses poings, il a confiance. Quand même, il remarque que l'allure du Coucou est sans trucage, et qu'aussi, il ne ralentit pas, ni ne prend de précaution pour l'approcher.
Il a eu le village entier contre lui, comment que c'est-y qu'un seul gaillard pourrait l'impressionner ?
Est-ce que je vous ai dit que le Coucou, il sait se battre ?
Ha ouais alors ! Ici, on n'avait jamais vu ça……
Le Noireau le charge lourdement, comme un danseur, le Coucou esquive et en profite pour lui talocher le crâne… Le Dinois finit le nez en terre… Rouge de rage et de confusion il se relève et, derechef, il se jette sur son adversaire… Mais notre champion glisse son bras gauche sur l'épaule du furieux coince sa nuque ; le voilà qui le retourne comme une crêpe et lui assène un violent coup de coude au visage : le Noireau s'écroule.
Le silence s'abat sur le terrain. Les Dinois se sentent menacés et les gueux de chez nous n'ont pas l'habitude de prendre parti pour le Coucou… Mais un mioche commence à chantonner : « Coucou, mets-lui un coup 'cou Mets lui des coups 'cou, tiendra pas le coup…. »
Et tout soudain dix, puis vingt puis cinq-cents gorges se mettent à scander
Coucou, mets-lui un coup 'cou Mets lui des coups 'cou, tiendra pas le coup….
Au milieu du terrain les bras de Thomas lui en tombent… et ses yeux écarquillés contemplent cette foule qui crie son nom...
Le Noireau profite de son trouble pour lui sauter à la gorge, mais le Coucou est en grâce ; on dirait qu'il a la force d'un Goliath… L'autre est agrippé à ses épaules, l'enfant-de-chœur se dégage et mets une mandale monstrueuse au Dinois qui s'effondre : il a son compte !
Et on garde les terres et la source du Legros !
Les mioches, les premiers déboulent dans le champs vers leur héros. Les adultes, emportés par la liesse des gosses courent à leur tour pour donner l’accolade au Coucou…
C'est pas les gens à détester qui manquent, alors finalement celui-là, ils peuvent se mettre à l'aimer, c'est dans leur intérêt, non ?
Elle a bien joué la Michaude… Avec l'accord tacite du Curé, elle ramasse un œuf abandonné et elle en fait son garçon, pis un enfant du pays avec une terre.
Pis, tu sais ? La grenaille a quitté sa figure au Coucou et avec ses exploits il a pas eu tant de mal que ça pour se trouver une doucette, paraît même qu'il a eu le choix !
A découvrir aussi
Inscrivez-vous au blog
Soyez prévenu par email des prochaines mises à jour
Rejoignez les 57 autres membres