Le monstre de Julien (dés 4 ans)
Les enfants savent, ou croient savoir, où se cachent les monstres.
Quand ils supplient papas et mamans de regarder sous les lits, dans les placards, ou d’allumer la lumière pour qu’eux-mêmes, enfants, puissent surveiller les murs de leur chambre, c’est parce qu’ils ont vu des ombres ici ou là qui les inquiètent.
Des ombres avec des yeux luisants, des dents blanches et pointues, des ombres chuchotantes, peut-être dangereuses…
C’est terrifiant une chambre de solitude pour les enfants…
Pas pour Juju.
Julien est un garçon très, très timide. Il se cache partout où cela lui semble possible, partout où les autres enfants croient aux croque-mitaines.
Sous son lit, sous la table de la cuisine qui a une grande nappe, sous le bureau de papa, dans la robe de maman, dans le petit coin, derrière le fauteuil de Papi et Mamie et contre le mur près de la porte qui conduit dans sa classe.
Julien est en maternelle.
Juju se cache parce qu’il a vu des tas de monstres. Pas des monstres pleins de dents et de méchanceté dans les yeux.
Non ! Car voyez-vous les monstres de Julien sont cachés dans les gens et ils sortent de façon inattendue : tout à coup quelqu’un crie, quelqu’un tape, quelqu’un rit trop fort, quelqu’un regarde en plissant les yeux et la bouche avec une sorte de rage, comme un chien qui grogne en relevant les babines.
Même son papa et sa maman cachent une sorte d’ogre.
C’est pour ça que le petit garçon ne parle pas beaucoup. Les seuls moments où il se sent en sécurité c’est dans ses cachettes et pendant les câlins.
Sa cachette préférée, elle est sous son lit. C’est une cachette assez grande, parce que le lit de Julien est en hauteur : on y accède par un petit escalier. Maman a agrafé un rideau contre le bois du lit, il descend jusqu’au sol.
Sous le lit de Julien, c’est comme une petite maison. Il y a un gros coussin, des doudous, une petite chaise et sa table avec dessus, des feuilles et des crayons pour dessiner.
Il y a aussi de la lumière : une guirlande électrique de noël et une lampe de chevet. Il a même collé des étoiles phosphorescentes avec maman sur le mur.
Ici Juju se sent très bien.
Pas comme à l’école.
Il y a plein de monstres à l’école, les monstres ne s’occupent pas toujours de Julien mais l’ogre de Jérôme, si. Tous les jours !
Il le pousse, le tape, lui crie après et ça fait pleurer Juju qui a très peur.
Et la maîtresse dit :
« Va à ta place Julien, que fais-tu dans le coin sieste ? »
Où elle dit :
« Va à ta place Jérôme et laisse Julien tranquille ! »
Mais ça ne suffit pas toujours.
Aujourd’hui, le monstre de Jérôme était particulièrement méchant. Julien a même un bleu, parce qu’il a reçu un coup de pied et alors le monstre de la maîtresse est sorti pour hurler, disputer Jérôme. Bien sûr cette fois le monstre avait raison mais Julien ne peut pas s’en empêcher il a peur.
Et c’est fatiguant !
Quand sa maman vient le chercher ce jour-là à l’école, Julien réclame ses bras et il pleure. Alors maman s’inquiète et parle avec la maîtresse. Le petit garçon n’écoute pas vraiment mais il entend : Jérôme, coup de pied, enfant timide, se cache, s’inquiète, petit et un mot bizarre : copilogue.
Maman dit qu’elle va faire ce qu’il faut. Julien entend dans sa voix qu’elle est très inquiète, alors il pleure encore plus. Il n’a jamais parlé des monstres et des ogres à maman, il ne voudrait pas que celui, caché en elle, sorte tout à coup.
Mais aujourd’hui c’est très difficile.
Quand il rentre à la maison, il file directement dans sa cachette.
Un peu plus tard maman récite la formule pour entrer :
« Petit lutin, mon bébé, maman est là avec ton goûter, elle ajoute, si tu es d’accord je vais prendre mon goûter avec toi. »
Julien écarte le rideau et laisse entrer maman avec son plateau. Elle a un peu de mal à rentrer dans la cachette mais elle s’assoie sur le gros coussin… et croque dans sa tartine.
Elle ne regarde pas son petit garçon mais elle demande :
« Qu’est-il arrivé à l’école mon chéri ?
- Je peux rien dire, si ton ogre sort, il me trouvera dans ma cachette et ce sera terrible.
- Mon ogre ? J’ai un ogre moi ?
- Oui, tout le monde en a un. Ils sortent quand ils veulent et me font peur.
- Papa aussi à un monstre ?
- Oui !
- Et la maîtresse?
- Oui ! Et Jérôme ! Jérôme il a un gros monstre que pour moi !
- Raconte-moi, mon chéri, je ne comprends pas ? Que font-ils ces monstres ?
- Ils crient, tapent, ils rient trop fort, disent des méchancetés et toutes ces sortes de choses…
- Ho ! Je vois, ce que tu appelles des monstres mon Juju, ce sont des émotions et les émotions agitent très forts les gens et les transforment un peu, mais pas pour de vrai, quand je fais l’ogre, je ne vais pas te faire de mal… Ni papa, ni la maîtresse…
- Si tu cries, j’ai peur alors ça me fait du mal…
- Hum ! Comment pourrait-on faire… Et si je te disais que je sais que tu as raison et que je connais bien le monstre qu’il y a en moi ? Et si je te disais que je l’aime ? »
Julien arrondit les yeux, comment ça ? Maman aime les monstres ?
Mais c’est terrible !
Maman reprend :
« Je comprends pourquoi tu ne parles pas beaucoup, pourquoi tu ne ris pas fort, pourquoi tu te caches, mon pauvre poussin, mais je vais t’apprendre quelque chose : essaye de ne pas avoir peur. Tu connais Pataud ?
- Oui c’est le chien des Jouveau… Il aboie tout le temps quand on passe devant la maison…
- Pourquoi est-ce qu’il aboie ?
- Parce qu’il défend la maison des Jouveau…
- Oui, tu as raison, il défend la maison… C’est pour ça que j’aime bien mon monstre. Il me défend contre les monstres des autres, mais il est joyeux aussi quand il rit très fort ça me fait du bien, ça me détend. Parfois tu as raison il sort pour crier, alors qu’il ne devrait pas, mais ce n’est pas souvent et quand il fait ça, je sais qu’il va redevenir raisonnable et me protéger et rire… Ce monstre n’est pas différent de moi, c’est moi. »
Julien ne dit rien, il ne sait pas quoi penser. Maman lui demande alors quelque chose de choquant :
« Et toi ? Il n’y a pas de monstre en toi ? Tu n’as pas d’émotions ? Tu n’es jamais en colère, tu n’as jamais envie de crier ou de rire très fort ?
- Ho non ! Dit Julien,
- Mon pauvre chéri, il n’y a donc personne pour garder ta maison… Tu ne voudrais pas un gentil monstre qui te défende contre Jérôme ?
- Je sais pas…
- Moi je sais, mon Juju, tu as des émotions, ton monstre je le voyais quand tu étais bébé, et je l’aimais très fort, il te défendait et je ne sais pas pourquoi maintenant il parle tout bas, mais je le regrette. Toi aussi tu as un monstre dans ton cœur, mais ce n’est pas un monstre ce sont tes émotions et tu en as besoin… J’aimerais qu’il revienne… »
Juju sent qu’il va pleurer et il dit :
« Je ne sais pas comment faire… Maman sourit,
- Essaye de crier…
- Haaaaa ! Maman sourit toujours,
- Plus fort Julien !
- Haaaaaa
- Encore plus fort, pense au monstre de Jérôme, crie mon bébé, crie,
-HAHAHHAHHHHHAAAAAAAAAAAAAAA »
Cette fois Julien a crié, crié si fort qu’en riant maman s’était bouché les oreilles…
Julien n’avait pas envie de rire, mais de crier encore et encore et encore… Il a crié si longtemps que sa gorge lui faisait mal.
Et puis il a pleuré.
Alors maman l’a pris dans ses bras, l’a serré très fort et a dit :
« Ho ! Mon petit monstre, ça fait du bien de sortir hein ? Je t’aime petit monstre, je suis contente que tu reviennes protéger mon Julien… »
Le lendemain, lorsqu’il est allé à l’école, Jérôme est venu vers lui, l’air mauvais, il s’était fait disputer pour son coup de pied et il avait bien l’intention de se venger. Julien l’a vu arriver, il avait peur, alors il a appelé son monstre et tout à coup il a senti en lui une énorme colère et il a hurlé, encore plus fort que la veille avec sa maman :
« PLUS JAMAIS, PLUS JAMAIS TU M’EMBÊTES ! SI TU M’EMBÊTES JE TE FERAIS MAL, JE TE MORDRAIS, JE TE TIRERAI LES CHEVEUX ET JE TE DONNERAI DES COUPS DE PIED ! TU ME LAISSES TRANQUILLE ! TOUJOURS ! »
Jérôme n’avait jamais entendu Julien crier, personne à l’école ne l’avait jamais entendu crier. Alors, Jérôme et son monstre ont eu peur, ils ont tourné les talons et sont partis.
La maîtresse n’a rien dit et elle a souri, elle aussi semblait contente de voir le petit monstre de Julien.
Je ne dis pas que Julien n’a plus jamais eut peur, mais maintenant il a quelqu’un pour se protéger.
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