Petit sortilege sans pretention

Petit sortilege sans pretention

Bougon Grognon 1/2

 

La nuit, elle se changeait en chouette. Pauvre Sidonie Bougon ! Ce n'est pas qu'elle fut méchante, mais elle avait vraiment mauvais caractère et un franc parlé fort piquant... Il y eut une fée à qui cela déplut souverainement.
On croit que les fées en plus d'être de belles créatures sont d'agréable compagnie… Ce n'est pas tout à fait exact : elles aussi, parfois ont de bien vilaines grâces. Alors évitez de lire ceci à haute voix mais les fées sont susceptibles et un peu soupe au lait !

 

Sidonie Bougon, petite fille, n'avait pas eu la vie facile et ne mangeait pas toujours à sa faim. Son père était parti on ne savait où, peut-être faire une guerre de seigneurs...quant à sa mère, elle n'avait pas toute sa tête. Lorsqu'elle eût dix ans, Sidonie dut se débrouiller seule et elle prit soin de sa maman et d'elle-même. La voisine lui donnait souvent des restes de nourritures mais la chassait rapidement dès lors que l'enfant était servie. C'était ainsi que tous les villageois la traitaient : ils l'aidaient mais sans tendresse.

 

Sidonie Bougon avait le regard noir, le sourcil fourni et plissé. Son visage semblait dire à tous : « Vous ne m'aimez pas, et je ne vous aime pas beaucoup non plus, restons-en là s'il vous plaît»

En vérité les gens n'étaient pas très attentifs : ce sourcil de Bougon lui venait de son père et ne pourrait jamais se déplier, à moins qu'une fée ne s'en mêla. Quant à montrer une certaine joie de vivre et une humeur légère, c'est facile lorsqu'on est aimé et qu'on a le ventre plein.
Sidonie Bougon n'avait eu ni l'un, ni l'autre…

 

Son père ne rentra jamais au village et maman Bougon disparut ; on raconte qu'un esprit de l'eau aurait eu pitié de son malheureux état et l'aurait changée en ondine, comme lui.

Il fallut que Sidonie grandisse un peu et qu'elle aspira à une vie de famille pour s'inquiéter de son air.

À part ses vingt ans, son petit bout de terre et la masure qui lui servait de maison, la jeune Bougon savait qu'elle n'avait pas grand-chose à offrir à un jeune homme... Elle pensait néanmoins, qu'avec une figure bien faite, elle aurait trouvé un compagnon plus facilement.

 

La forêt, juste à côté du village était habitée de créatures magiques. Les villageois s'entendaient pour dire que, contre un présent, même modeste, une fée pouvait accorder un souhait ou faire un don.

Sidonie avait deux talents : elle savait les plantes qui soignent et elle était une bonne cuisinière. Les fées n'ont que faire des potions, mais la gourmandise ne leur est pas étrangère !

Demoiselle Bougon confectionna une belle brioche légère et brillante, sucrée au miel et se rendit en forêt.

 

L'odeur qui s'échappait de son panier d'osier donnait à saliver à toutes sortes de créatures. Dans les arbres, sur terre ou sous terre.

La jeune femme entendait bruisser la forêt tout autour d'elle. Elle n'en fit pas cas. Elle rejoignit la clairière de la source et s'assit sous un chêne. Puis fit mine de s'endormir. Les bruissements cessèrent un moment, mais reprirent du plus belle.

La jeune rusée entrouvrit les paupières : un lutin des bois grimaçant dans son effort pour ne pas faire de bruit, avait glissé sa main dans son panier. Un esprit de la forêt, non loin, sous la forme d'un ours se balançait d'une patte sur l'autre. Et une fée aux cheveux de feu et en apesanteur s'approchait passant sa langue sur ses jolies lèvres.
Sidonie Bougon fit mine de s'éveiller brusquement et d'un air sévère confisqua son panier à la barbe du lutin :

« Donne-m'en ! Donne-m'en ! Donne-m'en ! Donne-m'en !

-Pchitt, ce n'est pas pour toi !

-Donne-m'en ! Ou je la prend !

-Tu n'en as pas le droit ! Si tu fais ça, je le dirais partout que les lutins de la forêt sont de vulgaires voleurs !

-Donne-m'en, s'il te plaît, je te ferai un présent !

-Quel présent ?

-Je te donnerai une pierre précieuse très belle...

-Non merci, qu'aurais-je à en faire, ça ne se mange pas, et les pauvres gens d'ici ne pourraient pas me l'acheter et pour faire bonne mesure, ils m'accuseraient de l'avoir volée ! »

 

L'ours s'approchait pour prendre part aux négociations :

« Donne-m'en ! Donne-m'en ! Donne-m'en !

-Non ce n'est pas pour toi !

-Donne-m'en ! Ou je te détache la tête du corps, d'un coup de patte !

-Les trois chasseurs du village n'en ont pas après les ours, et quoiqu'on m'aime peu, si je suis retrouvée en morceaux, je gage que les chasseurs viendront chercher ta peau pour protéger les leurs !

-Donne-m'en, s'il te plaît, je te ferai un présent !

-Quel présent ?
-Dix rayons de miel, une pleine ruche !

-Non merci, je sais trouver le miel moi-même. Et ce gâteau délicieux m'a coûté quelques gages. J'entends bien en profiter. »

 

La fée glissant dans l'air s'approcha à son tour, d'un air détaché :

« Nous autres fées, pouvons créer des pâtisseries extraordinaires, pourvu que nous l'ayons appris…

-Et vous ? L'avez-vous appris ?

-J'ai eu autre chose à faire…

-Ho les gâteaux ne vous intéresse pas.

-C'est à dire, celui-ci sent très bon. Mais j'ai cru comprendre que tu ne désirais pas t'en séparer…

-C'est vrai.

-Pas même contre un don ?

-Quel genre de don ?

-De beaux cheveux, de la lumière aux yeux, une grâce à chanter, une autre à marcher…

-Le pouvoir de pleurer des pièces d'argent ?

-Pour une part de gâteau, tu es plus gourmande que moi !

- Voyez-vous mon sourcil froncé ? Il me donne l'air peu engageant, il me vient de mon père, et je n'y tiens pas précisément. Je pourrais envisager de vous accorder une petite part de brioche, mais pas beaucoup plus…. Qu'en dites-vous contre des sourcils jolis  ?

-Une petite part hmmm ? Serais-tu pingre ?

-Certes ce gâteau m'a coûté cher et je vis chichement, mais c'est surtout ma chère, que votre croupe déborde de vos ailes, je ne voudrais pas être la cause d'un handicap naissant, et que vous ne puissiez plus vous envoler!»

 

La fée s'empourpra : une mortelle bien vilaine qui osait lui parler de sa croupe ?

Incroyable et tout à fait inacceptable !

Avez-vous déjà vu une fée déterminée à se venger, lorsqu'elle le porte sur son visage ? C'est assez effrayant et il semblerait que les fées et les sorcières aient une certaine parenté…

« Ma chère petite, j'élargirais mon don pour améliorer ta personne, mais je la veux, entière, ta brioche ! »

 

Sidonie Bougon se réjouit : la fée était rendue, dans le marchandage, au point où elle l'attendait.

Elle fit semblant de réfléchir et, du bout des lèvres consentit. Elle saisit la brioche et la donna à la fée. L'ours et le lutin ne perdaient pas une miette de l'échange.

La fée saisit le linge qui protégeait la pâtisserie et, avec un sourire fin, elle énonça son enchantement :

« Petite contrariété, posée sur ton visage en arc gracieux se dessine…

Et, pour le marché d'une brioche entière, puisque sans elle, ta croupe restera discrète, je te donne des ailes, la nuit tu te changeras en chouette ! »

 

Sidonie saisit ne sut rien en dire. Sous l'air goguenard du lutin et de l'ours, la fée divisa la brioche. Ils s'éloignèrent en riant tous les trois, chacun sa part de gourmandise, pour la manger dans les bois.

Sidonie ne voulait croire à la malédiction : les fées ne sont pas censées agir de cette façon. Elle rentra chez elle n'ayant rien d'autre à faire.

 

Dans sa petite maison, avec une certaine appréhension, la jeune femme contempla le reflet de son visage sur un bout de miroir brisé. La fée avait tenu sa promesse -ce qui demeurait inquiétant- les sourcils broussailleux et difformes de Sidonie s’arquaient à présent joliment, au dessus d'un visage qui avait changé subtilement, touché par la grâce. Sa figure était devenue bien mignonne.

 

Son travail à l'auberge commençait bientôt. Sidonie changea sa tenue. Elle était un peu inquiète de ce que son apparence susciterait comme réaction auprès des villageois. Elle venait de finir de nouer son tablier, lorsque tout à coup, elle se retrouva enterrée et empêtrée sous ses vêtements de coton. Bien sûr elle comprit tout de suite ce qui lui arrivait. Elle se secoua autant qu'elle le put et finit par s'extraire des habits. D'une patte fragile sur l'autre, marchant et secouant les ailes, elle poussait de petits cris effrayés.

Il faisait nuit, c'était la première fois avant tant d'autres que Sidonie se voyait métamorphosée en chouette !

Elle mis du temps à ouvrir le loquet de la fenêtre et plus encore à s'envoler.

Des larmes, à ses yeux de volatile, glissaient sur ses plumes et se mêlaient à l'air piquant.

Pourtant son chagrin et ses regrets ne parvenaient pas tout à fait à étouffer la joie qu'elle ressentait à voler.

 

Ne pouvant plus s'y rendre, elle perdit son travail, bien entendu.
Dès lors, le jour, elle se consacrait à ses talents de cuisinière et de rebouteuse.

La nuit, s’accommodant de sa nouvelle condition, elle volait d'arbre en arbre, de maison en maison. Elle apprit quantité de choses sur ses voisins et l'ensemble des villageois. Les querelles, les trahisons, la santé des ventres, les secrets de famille… il y avait de quoi faire commerce à défaut de se faire des amis.

 

Au début, la jeune femme se rendait au domicile d'une personne dont elle avait espionné le mal. Sa nouvelle figure lui ouvrait les portes :

« Tiens mère Cailleux, c'est pour tes intestins, quelques sous en échange de la paix de ton ventre. »

...De la paix de tes jambes, du silence dans ta tête, de la fin de tes nausées.

En grommelant, mécontents souvent d'être percés à jour, les gens donnaient à Sidonie ce qu'elle voulait. Et elle n'eut bientôt plus besoin de se déplacer, les villageois venaient d'eux-mêmes.

L'un dans l'autre, Sidonie Bougon vivait mieux qu'avant mais sans espoir de fonder une famille.

Aussi son caractère ne s'améliorait-il pas. Elle y avait gagné un surnom : Bougon Grognon.

Elle faisait entrer sans sourire écoutait les demandes sans commentaires, invitait à passer la porte d'un geste, auscultait, malaxait, redressait, pansait… sans tout le sucre qui aurait pu aider ses patients à la trouver sympathique et à lui témoigner de la reconnaissance.

Bougnon Grognon n'en avait cure. Tout ce qui la chagrinait, c'est qu'une fée l'avait privée d'un époux et peut-être d'enfants. Et au fond elle savait bien qu'elle était, elle aussi, responsable de cette fâcheuse situation.

 

La nuit tombait. Assise nue sur son lit, en face de la fenêtre ouverte, Bougon Grognon attendait que ses plumes repoussent. Chaque matin elle les ramassait pour les faire disparaître discrètement. Sa maison était pleine de coussins confortables, gonflés de duvet de chouette. Mais lorsqu'il y eut plus de coussins que de place pour les disposer, Sidonie, cessa de garder ses plumes.

 

Sans transition, ses bras devinrent des ailes, ses pieds de petites pattes fragiles qui supportaient son corps de volatile ; elle s'envola par la fenêtre.

C'était une nuit assez semblable aux autres. La lune pleine éclairait la place du village.

Sidonie, tournait au dessus des toits, indécise et fatiguée. Elle n'avait pas envie d'écouter aux fenêtres, aux portes ou aux cheminées, les médiocrités de son petit monde.

Le vent la porta sur le banc devant sa maison qui était partiellement dissimulée par les plantes et les herbes dont la femme chouette avait quotidiennement besoin.

Son ouïe sensible détecta des mouvements près de sa porte d'entrée où un coup d'aile la conduisit.

Un couffin était posé sur le paillasson de sa maison :

« Hou ! Hououh ouh » Hulula la chouette, ce que nous aurions pu entendre comme : « Hé ! Reprenez ça ! Ce n'est pas à moi ! »

 

Un bébé dormait à poing fermé. Et Sidonie se résigna à le veiller.

Aucune femme à sa connaissance n'avait de bambin de cet âge, un enfançon de quelques mois.

Et pour quelle raison l'avait-on laissé là ?

Le jour ne tarderait pas à se lever. La chouette entra par la fenêtre et quelques minutes plus tard, Sidonie ressortit pour récupérer le petit être endormi . Elle scruta le contenu du couffin d'osier, mais il n'y avait rien de particulier à observer, sauf que les draps et la tenue de l'enfant était d'une rare qualité : légers et soyeux, brodés finement.

Le bébé s'agita. Sidonie l’emmaillota rapidement et partit en quête de lait et d'informations.

 

 

Bougon Grognon 2/2



07/08/2016
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