Petit sortilege sans pretention

Petit sortilege sans pretention

Chiché et le Dieu des Morts 1/3

 

Quetzalcóatl est habité d'une colère divine.
La grande pierre résonne d'une promesse de vengeance et le processus de résurrection est impossible à interrompre...
Les anciens Dieux ne peuvent plus régner !

Dans la forêt millénaire, le temple discret présente son autel à la lumière de la lune et deux hommes trop jeunes , tremblent de peur : ils n'auraient peut-être pas dû...

Ils n'avaient pas la place qui leur revenait de droit, ni le pouvoir, ni la considération. Leur ambition démesurée les a conduits à rechercher une voie facile pour obtenir ce que leurs cœurs exigeaient et tous deux se souviennent de leurs choix.

 

Tlatilco, le grand village au milieu de l'eau, est dirigé par le chef patriarche et quelques prêtres magiciens. Lorsqu'il est devenu un homme -c'était hier à peine-, Sékinéti avaient un plan pour renverser les pouvoirs en place. Il connaissait la cachette secrète dissimulant le pouvoir des magiciens : une grotte, escamotée par un voile d'eau tombant en cascade. C'est là qu'il trouverait probablement la route qui conduit aux Dieux. Plus tard, il a trouvé un allié : Calotico s'est laissé enrôler, lui aussi a une certaine vision de l'avenir.

 

Le potier et le soldat s'apprête à entrer dans le sanctuaire.

 

Sékinéti est très intelligent, mais il n'appartient pas à la bonne caste et tous les siens l'enferment dans un rêve où il n'est rien.
Alors il a suivi sa propre voie. Il a espionné les prêtres et les enfants qui reçoivent de l'instruction à chaque fois qu'il l'a pu. Ainsi a-t-il appris toutes sortes de choses, mais personne ne connaît l'étendu de son savoir. Et surtout pas celui qui lui permet de déchiffrer les glyphes.
C'est une science sacrée, taboue : il serait tué, si quelqu'un l'apprenait.
Lors du rituel qui l'a admis parmi les hommes adultes, il a dû choisir sa condition : les champs et la pêche, la garde ou la poterie. Quelqu'un de son rang ne peut prétendre à rien d'autre. Il est devenu potier, avec un talent certain.

Sékinéti est dominé par son nahual, le hibou qui, par des voies silencieuses et obscures, arrive toujours à ses fins : il veut la place qui lui revient  !

 

Calotico, son frère d'ambition est très puissant, le jaguar en lui réclame chaque jour, sa part de lutte et de victoire. Calotico adore se battre pour confronter sa force à autrui. Petit, il était provocant et insolent. Puis, alors qu'il n'était encore qu'un enfant tressé, il défiait même les hommes, lesquels finissaient souvent un genou à terre.
Calotico est craint. Les gens l'évitent. Mais désormais il est un adulte et ne peut plus se battre comme avant : chaque fois qu'il manœuvre pour déclencher une rixe, les hommes présents défendent sa proie. Et puis maintenant que sa tresse a été coupée, il risque davantage qu'une volée de bois vert. Alors pour nourrir ses appétits de violences, Calotico est entré dans la garde de Tlatilco. Il ne vit que pour profiter du plaisir de vivre -comme le jaguar-, manger, dormir, se battre. Et plus on est puissant, plus les plaisirs de la chair sont variés et abondants. Le jaguar veut la place qui lui revient.

 

Le soldat et le potier se sont trouvés au hasard, un soir, en présence l'un de l'autre. Calotico bandait ses muscles prêt à frapper n'importe qui. Les bolées d'alcool de maïs brouillaient le peu de raison qui l'animait habituellement. Sans même un prétexte, juste parce qu'il passait par là, son bras happa Sékinéti. Il le regarda brièvement et leva son autre main pour l'assommer. Sans se démonter, le potier sortit de sa poche une statuette réaliste, très inhabituelle de l'art commun. Elle représentait un être puissant à la coiffe impressionnante. Il dit à son bourreau :

« Veux-tu être cet homme-là ? »

 

 

La brute relâcha suffisamment son étreinte pour permettre à son prisonnier de se dérober :

« Tu es un soldat très fort. Je t'ai déjà observé. Tu n'es pas traité convenablement, un homme de ta force devrait diriger les soldats de Tlatilco. Au lieu de quoi tu en es réduit à répondre au moindre commandement. Je comprends ta frustration. Tu es mon frère. »

 

Intrigué par la finesse de la figurine, séduit par les mots qui reconnaissaient son aura exceptionnelle, Calotico répondit :

« Tu es un frère bien fragile… Te massacrer ne changera pas mon destin. Mais toi, peux-tu changer mon destin ?

-Il faudra un peu de patience et de courage. Mais je vais changer le mien, si tu te rallies à moi, je changerai le tien.

-Quelle est cette figurine ?

-Elle me rappelle chaque jour de ne pas me soumettre aux rêves des autres, elle me rappelle que je suis celui qui commandera ce village… »

 

 

 

Calotico, qui ne respectait que la force brute, s'esclaffa bruyamment :

« Je ne sais pas sur quoi tu appuies ta confiance, mais sûrement pas sur tes muscles d'enfant tressé ! »

 

Ce jour-là, la force brute et l'intelligence se sont unies au service de la vanité et sans le savoir au service de Dieux qui veulent retrouver leur puissance et la place que Quetzalcóatl leur a volée.

 

Chiché suit deux hommes depuis ce matin. Il les connaît, il n'y pas si longtemps, ils étaient encore des enfants tressés. Et quoiqu'ils ne soient pas de la même caste, Chiché les a vus grandir.
Ce couple improbable l'intrigue. Aussi a-t-il décidé de les observer.
Pourquoi et comment , le frêle et froid Sékinéti a-t-il procédé pour s'attacher les services de la brute du village ? Que faisaient-ils, si tôt, ce matin à traverser le grand lac et au-delà les cultures ?
Grâce à la brume flânant sur l'eau, l'enfant a pu les suivre en barque, aiguillonné par sa curiosité insatiable.
Chiché se mêle toujours de ce qui le regarde, mais aussi de ce qui ne le regarde pas.

 

Ce qu'il préfère, c'est comprendre et savoir, les choses, les gens, les nahualli, les Dieux et leurs liens entre-tissés. Il étudie avec des précepteurs et des prêtres. Son père n'essaie plus de le contraindre à rester toute la journée auprès de ses professeurs : la tête de Chiché va trop vite. Père et maîtres ont convenu qu'il valait mieux laisser à la vie et à la curiosité naturelle de l'enfant le soin de nourrir son nahual. Aussi, le matin, l'enfant peut-il vagabonder à sa guise.
Chiché s'intéresse à l'histoire des personnes qu'il rencontre et ce faisant, la manière dont ils mènent leur vie, leurs activités. Et chaque question lui apporte un savoir et chaque savoir suscite une question.
Chiché a l'intelligence des êtres protégés par le Dieu Serpent. Un jour il appartiendra aux cercles des prêtres magiciens ; un jour de l'année prochaine, lorsque Chiché sera un homme.

 

Depuis une demi-heure qu'ils marchent -à présent dans la forêt-, les voilà qui ralentissent enfin. Ils se sont arrêtés au pied d'une cascade bruyante. L'enfant tressé se tapisse dans la végétation. Il observe les deux hommes.

 

Le soldat s'avance en premier et entre dans la cuvette creusée par la chute d'eau. Elle lui arrive à la taille. Il progresse prudemment. Rassuré par son avancée, Sékinéti s'y laisse glisser à son tour. Ni l'un ni l'autre ne soupçonne qu'un curieux assiste à la scène. Le potier s'engage le premier sous la cascade et disparaît sous les trombes d'eau, il crie à Calotico de s'avancer.

 

Chiché sort discrètement de sa cachette. Le cœur battant à tout rompre, longeant la cuvette, il s'approche du rideau de l'eau aussi prêt qu'il l'ose. Le bruit tonitruant de la chute ne parvient pas à masquer tout à fait la voix grave du soldat. Le garçon comprend alors qu'une cavité est creusée dans la roche… Il retourne rapidement à son poste d'observation et attend longtemps que les hommes en ressortent.
Calotico franchit le rideau largement courbé en avant. Il tient à l'abri de son corps deux pots que Sékinéti avait emmené avec lui. Le second ne tarde pas à rejoindre le premier. Après être retournés au sec, les deux conspirateur retourne sur leur pas, vers le lac.

 

Dès lors qu'il est sûr d'être seul, Chiché franchit à son tour l'obstacle liquide. Ce qu'il découvre derrière le rideau de l'eau arrondit ses yeux de surprise et de crainte : il est dans la grotte des prêtres magiciens. Des plantes magiques sèchent un peu partout, des glyphes sacrés ornent les parois, elles parlent des dieux et de la voie qui conduit à eux.
Sur une natte, à même le sol, tout est agencé en cercle, suivant le panthéon religieux et Quetzalcóatl en occupe le centre, il est celui qui commande aux autres dieux
L'enfant tressé sait qu'il n'en a pas toujours été ainsi. Le temple, au centre du village, raconte encore l'histoire des sombres sacrifices humains. Désormais plus personne n'y est soumis, ainsi qu'en ont décidé les prêtres qui ont répondu à l'appel du Serpent à plume.
Depuis le village est en paix et prospère. Quetzalcóatl est un dieu bienveillant, rusé et puissant.

 

Autrefois, les prisonniers, les impies ou les martyrs avaient les veines et la tête tranchées. Les rampes des temples, dégoulinant du sang des sacrifiés, nourrissaient les Dieux immobiles de la Lune et du Soleil. Leurs nahualli rayonnaient alors d'une telle lueur qu'ils ne faisaient pas qu'éclairer les cieux, ils traversaient les divinités et les rendaient toutes puissantes.
Les prêtres enseignent que Quetzalcóatl refusait d'absorber cette énergie et qu'il préférait faire confiance à son intelligence. Ainsi ne dépendait-il de rien, ni de personne.

 

Le panthéon, au milieu de la grotte, est éclairé par la lumière diffuse qui traverse la cascade. Sur la natte tressée de fibres de maïs sont disposées les sculptures carrées représentant les dieux et déesses.

 

De part et d'autre de Quetzalcóatl, Coyolxauhqui Déesse de la lune et Ocelotonatiuh Dieu du Soleil règnent dans le ciel et dans les nahualli des autres dieux.
En cercle autour d'eux trois, neuf divinités : de la volonté et de la guerre, de la force et des saisons, de la Terre et de la fertilité, des enfers et de la mort, de la providence et de la nuit, de la pluies et des séismes, de l'agriculture et du maïs, du vent, du feu, neuf divinités assoiffés du rayonnement des dieux immobiles réclament le sang des hommes.

 

Chiché les trouve tous terrifiantes.
Chaque représentation sculptée couvre le col d'un pot en céramique. Les pots recèlent la substance magique qui ouvre une voie vers les dieux. Grâce à quoi, avec le rituel approprié, les prêtres peuvent entrer en communication avec les déités.
Au fond de la grotte des tables gravées de pictogrammes et d'idéogrammes dévoilent sans doute le secrets des rituels.

 

Chiché comprend immédiatement tout ce qu'il a sous les yeux. Cela confirme ce qu'on lui enseigne en confidence. Mais Chiché ne s'attarde pas davantage : ce lieu est tabou.
La matinée se terminera bientôt, il doit être à Tlatilco avant que son professeur d'astronomie ne s'alarme, mais son cœur est inquiet.
Doit-il parler de ce qu'il a observé ? Mais ce serait reconnaître qu'il s'est affranchi d'un tabou...
Ou dire qu'il a vu les deux hommes se rendre sous le rideau de la cascade ?

« Allons Chiché qui croira que tu les as sagement surveillés sans céder à ta curiosité ? »

Le garçon tressé se presse de rentrer.

Les alliés sont en route. Chacun représentant la nature du Dieu qu'il sert à son insu, qui pour la Lune et le Soleil qui pour Quetzalcóatl.

 

Chiché est très intelligent, plus intelligent que Sékinéti sauf que lui n'a aucun scrupule. Calotico est un imbécile mais il est très robuste. Les forces en présence sont à l'image de celle du panthéon, et c'est Huitzilopochtli qui mène la danse : le Dieu de la Guerre s'ennuie sans doute, privé des rixes et de sa puissance d'autrefois.
Quetzalcóatl soupire, il aurait mieux à faire que de s'engager dans ce conflit.

 

Dans la case qu'il s'est construite à l'âge de sa première tresse, Sékinéti cherche des yeux l'outil le mieux adapté pour creuser une cache dans le sol. Il doit y dissimuler le larcin du matin. Son complice et lui ont subtilisé un peu de la substance magique dédiée à chacun des dieux. Puis le potier a déchiffré les rituels nécessaires à l'incarnation de Mictlantecuhtli , le Dieu des Morts. Grâce à lui, il pourra dominer son village et qui sait ? Peut-être ceux alentours ? Ainsi Sékinéti aura-t-il la place qui lui revient.

 

 Grâce au sang des morts, la Lune et le Soleil rendront leur puissance à tous les dieux et, ensemble ils abattront l'arrogant Quetzalcóatl. Neuf dieux avides de pouvoirs et de vengeance se frottent les mains.

 

Calotico rejoint tranquillement son poste de surveillance à l'entrée du port marchand. Les soldats sont placés tout autour de l’île pour surveiller les berges. Il faut bien reconnaître que les sentinelles ont plus souvent à faire aux crocodiles qu'aux envahisseurs. Mais les guerres ne préviennent pas.

 

Grâce à son statut, Calotico est autorisé -dans certaines limites- à maltraiter les habitants, jusqu'aux castes moyennes, ce dont il ne se prive pas. Aujourd'hui ce sont les marchands qui auront à subir le tyran, aussi se font-ils le plus discret possible, parce que leur intégrité ne suffit jamais à les protéger. Mais aujourd'hui, le soldat est perdu dans ses rêves de gloire. Si un homme peut changer son destin c'est certainement le potier : il ne connaît personne qui soit aussi rusé.

 

Ils ont rendez-vous demain à la lune pleine pour exécuter un rituel auquel il n'a pas compris grand-chose. Sa contribution consiste à enlever un homme dont l'absence n’éveillera aucun soupçon. Calotico sourit : il connaît un tas d'ivrognes !

 

 Il s'en est fallu de peu, mais Chiché arrive à la case de son père juste avant son professeur.

« Bonjour Chiché, je t'ai vu te précipiter, il y a peu : tu as failli me faire attendre !

-Oui maître Otchi. Je me suis attardé dans la forêt au-delà des cultures, je cherchais la plante de soin pour maître Papalotl.

-Et l'as-tu trouvée ?

-Non maître.
-Et bien je te souhaite meilleure fortune demain. Nous allons terminer le codex calendaire de la période du soleil de feu. Dans quelques levés de lune nous irons observer la marche des étoiles et la rapprocher de ce codex, je t'enseignerai alors les choses cachées qui déterminent encore les moments à venir. »

 

Chiché ne parvient pas tout à fait à écarter de sa pensée les événements de la matinée. Ses professeurs d'astronomie, de mathématiques et le prêtre des grandes cérémonies, le sermonnent à tour de rôle. Finalement même les après-midis les plus longues ont une fin, et l'enfant s'empresse de rentrer chez lui. Au loin il distingue la silhouette de son père Ométeh, occupé à donner des ordres à quelques subordonnés.

 

Le père de Chiché est responsable de la supervision des sculptures et monuments que réclament les prêtres ou le chef. Une tête de géant à l'image du patriarche sera bientôt achevée. L'acheminement des pierres est long et difficile, mais une fois livrées, le travail de sculpture commence, qui incombe à son père. La statue doit plaire à son maître.
Le chef veut offrir ce monument à Quetzalcóatl pour lui réaffirmer son allégeance et celle du village. À travers ce choix un peu vaniteux, le patriarche enjoint aux habitants de ne pas oublier leur devoir d'obéissance ou craindre son courroux... même si, lui aussi, a un maître.

 

Il est temps de déposer les offrandes sur l'autel du serpent à plumes. Ométeh et sa compagne, Chiché et ses deux sœurs prient pour le meilleur. Le garçon se mord la langue pour ne pas confier ses tracasseries à sa famille, car c'est à ce moment de la journée que chacun, s'adressant aux dieux, est invité à partager ses contrariétés. À quelques pas de l'autel à l'abri du toit en chaume, chacun s'assoie sur la natte pour partager un repas de galette de maïs, de viande de dindon, quelques fruits le tout arrosé d'une boisson au cacao pimenté.
Chiché ne peut pas s'éclipser sans autorisation. Il faudrait qu'il attende que tous soient endormis, mais le projet secret de Sékinéti et Calotico l'inquiète trop pour qu'il patiente. Alors il parle à ses parents de son cours d'astronomie. Le cas échéant, il pourra toujours arguer qu'il s'est trompé de nuit. La demande n'est pas habituelle. Le garçon obtient facilement un accord.

 

 

Chiché et le Dieu des Morts 2/3

Chiché et le Dieu des Morts 3/3

 

Quétzacoatl Dieu de la Sagesse. Divinité du jour, le serpent à plumes.

Ocelotonatiuh Dieu du Soleil

Coyolxauhqui Déesse de la Lune.

Mictlanteccuhtli Dieu des Morts. Divinité qui règne sur les enfers Aztèques.

Huitzolopochtli Dieu de la volonté. Divinité de la guerre, tribale des Aztèques.

Xipe-Totec Dieu de la Force. Divinité des saisons.

Tezcatlipoca Dieu de la Providence. Divinité du monde nocturne.

Tlaloc Dieu de la Pluie, du Rayon et des Séismes.

Chicomecoatl Déesse de l'Agriculture. Divinité du maïs, elle protège les récoltes.

Ehecatl Dieu du Vent.

Xiuhtecuhtli Dieu du Feu.

Coatlicue Déesse de la Fertilité. Divinité de la terre.

 

 



21/06/2016
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