Petit sortilege sans pretention

Petit sortilege sans pretention

Le talisman des lucioles 1

C'est un petit garçon trop sérieux pour son âge Il vient de se réveiller le cœur battant à tout rompre. Comme toutes les nuits depuis quelques semaines. Mystérieusement sa mère l'a senti. Elle n'a pas tardé à entrer dans sa chambre et à allumer la lampe de chevet, pour l'accueillir dans ses bras.
Il tremble d'effroi et les larmes ne trouvent pas tout de suite le chemin de ses yeux.

Le psychiatre a été formel :  « Ce sont des terreurs nocturnes, il apprivoise le monde, ça passera madame. »

Il a été très rationnel et rassurant.

 

Mais les yeux de son petit garçon sont éteints, comme son sourire. Il ressemble aux enfants qui ont vu la guerre et la mort de près.

Éladelle chuchote dans les cheveux fins de son fils :

« C'était lui Jacques ? C'était le monsieur Gris… Que faisait-il Jacques ?

-Il mangeait les petits êtres bleus…

-Il mangeait les lucioles ?

-Oui… Il m'a vu...

-Comment ça il t'a vu ?

-Il était dans la…

-Dans la cave ?

-… dans la cave. Je voyais son dos, j'avais très peur, j'entendais les lucioles crier… Il s'est retourné… il m'a regardé… il a penché la tête comme ça... »

 

Jacques penche la tête sur le côté, et se met enfin à sangloter :

« -Il a dit...il a dit… Bonjour petite Luci… petite luciole… il parlait… il parlait dans ma tête. »

 

Le cœur brisé Éladelle, serre son fils contre elle. Jacques sanglote de longues minutes et finalement se rendort dans ses bras… Elle est inquiète. Elle n'a pas envie de croire le Psychiatre. Ça semble beaucoup trop construit, un tel délire, pour un enfant cinq ans. Tous ces cauchemars qui le hantent, racontent une histoire cohérente et terrible.

 

Elle recouche son petit, laisse la lumière allumée qu'elle voile légèrement et le quitte à regret…

Son sommeil à elle, est devenu aussi léger qu'un vol de papillon, dès qu'elle entend Jacques bouger un peu fort, elle se réveille et constate presque chaque fois qu'il est réveillé.
Quand elle allume la lumière, elle voit le masque de terreur qu'il porte alors.
Deux rêves chaque semaine, en moyenne, plus parfois, Jacques est épuisé.

Éladelle se remet au lit, elle se sent impuissante et démunie, sauf à lui dire qu'elle le croit et qu'elle l'aime.

 

*

 

Il y a une maison dans le quartier, une maison dont la porte et les volets sont toujours clos. Lorsqu'il passe devant, pour aller à l'école, le petit garçon a peur. La semaine dernière, il l'a montrée à sa maman, la veille, l'habitation était apparue dans son rêve
Sa maman lui a expliqué que c'est à force de la voir chaque jour que pour finir elle a servi de décor à ses cauchemars.
C'est une chose de croire son enfant sain d'esprit, c'en est une autre de voir s'incarner les mauvais rêves.

 

Mais en passant devant la bâtisse, ce matin, Jacques éprouve la même peur. Il sait que l'homme gris y vient souvent. Il sait que la maison est un marécage déguisé. Il sait que le monstre le cherche.

 

L'école est le seul havre de paix où il peut se reposer, oublier les lucioles et l'homme gris. C'est un endroit où il redevient un petit garçon de cinq ans. Éladelle part travailler, elle aussi respire pendant ces temps de classe.

 

 

*

 

De l'eau suinte des murs, le sol est mou, malodorant. L'homme gris est allongé. Lorsqu'il dort, il n'a pas l'air vulnérable ou moins dangereux.
Au contraire, il perd son aspect humain et irradie de colère et de malveillance. Il ressemble peut-être à un démon, ou à un gobelin ?
Mais quoiqu'il en soit c'est un monstre qui veille sur son trésor.

Jacques est sur le
seuil, d'un genre de porte, au bord du marécage. Il sait qu'il faut qu'il se réveille s'il veut quitter cet endroit et les lucioles.
Mais elles se précipitent vers lui et il entend leurs suppliques :

« Aide-nous, aide-nous… -Des images affluent dans l'esprit de Jacques-
-Je peux pas, je sais pas…

-Aide-nous, aide-nous, tu es le talisman…-Des images encore, de lucioles, du monstre qui les dévore-»

 

L'homme gris se redresse soudain, les lucioles d'une seule poussée comme le concentré d'un cri frappe la pensée de l'enfant :

« RÉVEILLE-TOI ! »

 

Jacques s'assoit dans son lit, sa mère entre dans sa chambre :

« -Je veux qu'on va voir la maison de boue. Celle qu'on passe devant quand je vais à l'école…

-Jacques il est trois heures du matin, c'est le milieu de la nuit et la maison est vide.

-Tu as dit que tu me crois, tu as dit que tu vas m'aider, tu dois m'emmener dans la maison ! »

 

Éladelle se résigne et habille son petit bonhomme puis elle enfile rapidement un pantalon, un pull et une veste. Mais en sortant, elle a peur de prendre la mauvaise décision et d'alimenter les peurs de son fils.

 

Dans la rue mal éclairée, la maison se découpe : ténèbres sur anthracite, aucune lumière ne filtre nulle part. Éladelle regarde Jacques dont elle sent le corps trembler par la main qu'elle tient. Elle le soulève du sol et l'assoit sur son bras. Les petites mains de son fils se faufilent dans son cou, ses lèvres s'approchent de son oreille et il chuchote :

« Il n'est pas là ce soir. Il chasse...C'est comme ça qu'elles disent, il chasse.

-L'homme gris ?

-Oui, il chasse les lucioles…

-Où sont les lucioles ?

-Dans la tête des enfants. Quand les enfants meurent…

-Je ne comprends pas Jacques…

-Les enfants meurent des fois, tu sais ?

-Oui, ça arrive, mais c'est rare…

-L'homme gris sent quand les enfants meurent, alors il y va et il attend la luciole…

-…

-Quand l'enfant est mort, il y a une lumière bleue qui sort de sa tête. Elle brille de plus en plus fort. Après elle devient une boule. Après y'a une lumière blanche autour qui clignote, après ça devient une luciole bleue comme une lumière. Mais en vrai c'est toi qui dis une luciole, c'est pas une bête en vrai, c'est que de la lumière qui parle. Et l'homme gris l'attend quand elle sort. Il fait des gestes bizarres, il dit des choses tout doucement, que je ne comprends pas et la luciole arrête de partir et il l'attrape…

-…
-On va rentrer dans la maison ?

-Elle est sûrement fermée, mon Doudou…

-On va essayer ?

-Et que fera-t-on si l'homme gris est là ?

-On partira en courant… »

 

Éladelle soupire et, toujours en portant l'enfant,elle franchit un portail assez haut mais ordinaire. Ils suivent l'allée jusque la porte d'entrée. La jeune femme se sent parfaitement ridicule, mais elle lève le poing et s'apprête à frapper. Jacques sert son cou et l'en empêche en secouant la tête… Elle devine ses yeux écarquillés. La voix enfantine, à peine audible, murmure :

«Ouvre la porte, tout doucement... »

 

Éladelle s'exécute, elle baisse la clenche fermement, convaincue que la porte est verrouillée ; pourtant le battant s'ouvre sans bruit… Une bouffée d'air humide et des effluves végétales s'échappent de la maison. Elle hésite à entrer, l'obscurité est totale :

«Ça ne sert à rien d'entrer, Jacques : on ne voit rien !

-Moi, si, je vois moi ! C'est vide, y'a pas de meubles et au fond y'a une porte… c'est là qu'elles sont les lucioles… »

 

La jeune femme s'habitue à l'obscurité et les volets laissent filtrer une certaine luminosité qui vient de la rue. L'expression du petit garçon et son cœur, qu'elle sent cogner contre sa propre poitrine, trahissent la panique qui monte en lui ; malgré elle, la maman de Jacques commence à avoir peur.
Elle se déplace le plus silencieusement possible vers le fond de la pièce et distingue la porte à son tour.

 

Elle y entre avec appréhension… Elle prend le temps de scruter toute la surface de l'espace, mais non, il n'y a rien. Elle tourne alors, la tête vers son fils. Elle découvre ses yeux exorbités, son visage d'une pâleur de lune et sa bouche entrouverte sur un cri silencieux. Des larmes roulent sur ses joues. Elle ne peut s'empêcher de sursauter et lui demande paniquée :

« Jacques, Jacques, qu'est-ce qu'il y a... »

 

 

 

Le talisman 2



19/02/2016
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