Le talisman des lucioles 2
Dans les bras de sa maman, le petit garçon ressent un certain courage, mais plus elle s'approche de la porte, au fond de la maison, et moins ses résolutions sont ancrées. Il sent qu'elle a peur aussi. Quand elle ouvre la porte, Jacques découvre le marécage, ou plutôt une grotte dans un environnement marécageux
Pour la première fois, l'enfant y est vraiment. Les lucioles volent dans tous les sens, animées d'une vive excitation, mais dans la seconde, un gros nuage de brume apparaît sur le sol boueux où quelques végétaux survirent.
La colonne se dissipe, et l'homme gris se tient à quelques mètres de Jacques, il sourit, l'air mauvais.
Sans regarder autre chose que l'enfant, il tend brusquement son bras sur le côté et attrape une luciole, qu'il glisse dans sa bouche repoussante.
Des larmes s'échappent des yeux du petit garçon, et tous les poils de son corps se soulèvent de peur et de répulsion. Lorsque la lumière bleue s'éteint dans la bouche noire et toute en dents du monstre, un hurlement traverse l'esprit de Jacques ; un hurlement en échos lui répond : les lucioles liées à celle qui vient d'être dévorée, sont terrassées de peur… L'homme gris luit légèrement…
*
...« ...Qu'est-ce qu'il y a ?»
La voix de sa mère le ramène à la réalité, elle fait demi tour, pour sortir de la maison, l'enfant tourne la tête et ne lâche pas l'homme gris des yeux… Celui-ci lui adresse un au revoir moqueur de la main…
Jacques comprend soudain que s'il part maintenant, il n'aura plus le courage de revenir. Et les cauchemars hanteront son sommeil toute sa vie…
Alors il s'agite brutalement dans les bras d'Éladelle et la repousse de toutes ses forces. Impuissante à le calmer elle le pose au sol, il s'empresse de courir vers le marécage, elle le suit.
Jacques franchit le seuil et…
Disparaît. Sa mère est choquée, affolée au milieu d'une pièce vide. Elle le cherchera dans toute la maison et finira pas s'asseoir à l'endroit précis où son fils s'est volatilisé.
*
Sous ses pieds, le sol mou adhère à ses baskets. Il a franchi le seuil, il est désormais physiquement dans l'antre de l'homme gris.
Comme s'il était un aimant, toutes les lucioles se précipitent vers lui et le colle au plus près… D'un pas vif et très rapide, la créature, le gris, se précipite sur l'enfant qu'il domine de toute sa taille.
Jacques subit l'agression de son odeur et le choc de son corps. L'homme gris tend les bras, agite les mains et les doigts…
Jacques comprend qu'il essaye, mais ne peut pas attraper les lucioles. Il semble qu'autour de lui, comme s'il était un enfant spécial, elles redeviennent immatérielles. Pareil à leur état, sur la tête des enfants mourants.
Il entend alors le souffle réjouit des lucioles dans son esprit.
Le monstre qui le domine change d'expression, ses traits sont envahis de rage et de malveillance. Il attrape soudain l'enfant par le cou et le soulève du sol. À quelques centimètres de son visage, il gronde :
« Tu es le Talisman... »
Sa main se ressert. La vue et la conscience de l'enfant se brouillent. Les lucioles bourdonnent dans son esprit, comme un essaim de guêpes en colère Jacques identifie reconnaît la personnalité en chacune d'elle, au fur et à mesure qu'elles entrent en lui.
L'homme gris commet une grave erreur, en cherchant à tuer le Talisman, il transige avec une règle immuable : s'il peut se nourrir comme il le doit, comme n'importe quelle créature, il n'a pas le droit de tuer un enfant.
Son appétit insatiable dépeuplerait la terre.
En cherchant à tuer Jacques, il rapproche deux univers, et c'est ainsi que les lucioles, peuvent entrer dans le corps du Talisman et amorcer un cri
Le cri devient puissant, les énergies se densifient en une masse qui circule comme un orage dans, et hors, du corps de l'enfant. par chaque pore de sa peau. L'appétit du gris connaît un développement irrépressible. Toute cette abondance, comme une orgie… Il ouvre grand sa bouche et aspire de toutes ses forces la nuée bleue qui maintenant l'entoure. Elle circule alors entre les deux corps.
Au fond des consciences multiples, Jacques observe l'attaque des lucioles. Il entrevoit la nature réelle de l'homme gris.
Il est né d'une peine affreuse. D'un deuil insurmontable. Il est né d'une mère que la mort de son enfant avait anéanti. La luciole d'icelui, au contact du désespoir de sa mère, s'était ratatinée en monstre, qui ne pouvait ni ne voulait plus partir. Il absorbait depuis lors les lucioles des enfants et s'en nourrissait. Il entendait le désespoir des mères comme un appel et ingérait les défunts, les empêchant de poursuivre leur chemin.
Le monstre gris, le chagrin des mères...
Les lucioles liées par le Talisman en une seule volonté et en une seule force, fouillent dans les décombres de l'âme d'un monstre de chagrin. Elles trouvent l'origine cachée au fond de son cœur de cendre.
Il faut libérer le vieil enfant du maléfice et l'inciter à poursuivre son chemin. Il doit renoncer à la terre, à la peine de sa mère et trouver la paix…
La bataille est rude, le chagrin profond, il faut toute la volonté de vivre d'un petit garçon, et toute la détermination des êtres bleus qui veulent partir. Le cœur de cendre est pressé, traversé, agité par la volonté bienveillante des lucioles.
Maintenant que le monstre est dévoilé personne n'a plus peur.
Le corps improbable de l'homme gris se délite. Il libère peu à peu et de plus en plus vite, une cohorte de lucioles. Toutes celles qu'il avait capturées et perverties Un nuage d'une densité incroyable s'échappe, jusqu'à laisser sur le sol un agrégat gris éteint, une souffrance comme une pierre, comme un cœur de cendre.
Une joie frénétique agite la masse bleue qui redevient multiple et quitte le corps du Talisman. Jacques retrouve son unité, soulagé, épuisé, la gorge douloureuse. À ses pieds une pierre noire roule encore, lisse en forme de sphère et enfin vide de douleur. Jacques s'en empare et autour de lui le marécage s'efface.
*
Un rayon de soleil frappe l’œil d'Éladelle. Elle sort de sa torpeur catatonique. Elle inspire profondément, et laisse le hurlement de son esprit descendre dans sa gorge. Elle ne veut pas partir, elle ne peut pas partir…. Jacques… Jacques…
Comme si l'incantation était magique. Il est soudain près d'elle. Alors elle cesse de respirer, de peur que l'illusion disparaisse :
« Respire ! Respire ! C'est bien, lui, il est là ! »
Jacques s'agenouille à côté de sa maman les mains jointes autour d'une pierre noire. Il se faufile dans ses bras :
« C'est fini, l'homme gris n'existe plus, je suis le Talisman des lucioles, je l'ai guéri ; c'était que du chagrin, et c'est fini. »
Éladelle ne comprendra jamais plus que ce que son Jacques lui dit ce matin-là, parce qu'il a tout oublié en quelques jours, au fur et à mesure qu'il redevenait un petit garçon de cinq ans.
Le temps passant, sa maman se dit qu'ils ont subi une sorte de folie à deux dont ils sont sortis ensemble ; que finalement le psychiatre avait raison, et qu'en entrant dans son délire, elle avait sauvé son fils…
Quand elle raisonne ainsi, elle évite de penser à la pierre noire dans la chambre de son fils.
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